Bisse, byssus, bissus : lin ou bien soie-de-mer ?

(Ce court billet reprend un thread lancé sur Mediaephile fin 2012 à la suite de la confusion sur un autre forum entre le byssus-soie-de-mer et le bissus-toile-fine-de-lin, à propos de la tunique de sainte Claire d’Assise [01]une confusion qui demandera près de deux mois pour une rectification, alors que l’erreur était évidente : 99% des objets en soie de mer sont relativement petits et sont dorés ; une chemise ample, de femme, beige grisé aurait du mal à correspondre à cette matière http://www.guerriersma.com/forum/viewtopic.php?f=19&t=11152&sid=5fc23614bf61a7a3c1356161e7dd445f ).
 

Le byssus en tant que terme pour désigner les réseaux de filaments servant d’ancrage à certains mollusques est un emprunt au terme bissum/bissus désignant une étoffe fine. Le mot byssus (toujours avec un y, contrairement aux autres mentions, qui ont soit un y soit un i) est récent. On le doit à Linné qui l’a initialement employé à propos des lichens « en raison de l’analogie entre les fils de lin et les filaments du lichen »[02]https://www.cnrtl.fr/etymologie/bysse.

Dans des récits, des romans, des livres de comptes ou des inventaires antérieurs aux études naturalistes « scientifiques », il ne peut s’agir que de la catégorie d’étoffes soignées mais courantes, connues et répandues, probablement en lin si l’on en croit Apulée[03]https://www.cnrtl.fr/definition/byssus,  et certainement pas des productions en « soie marine » à diffusion très confidentielle, dont on ignore le nom contemporain précis (soie de mer ? laine de mer ? ).
 
Dans des écrits antiques, voire médiévaux (c’est un terme employé dans la Bible notamment), il n’y a aucune ambiguïté : il s’agit uniquement d’étoffe particulièrement fine et soignée, principalement en lin mais éventuellement en soie ou en coton. Et ce terme continue d’être employé actuellement, et dans le sens de « fine toile de lin » notamment dans le musée qui expose les reliques de sainte Claire.

Pour autant, la soie-de-mer était connue, mais ne portait pas le nom de byssus.

 
Le bonnet de Saint-Denis est peut-être l’exemple le plus célèbre. Le fait qu’il soit « tricoté » interroge sur sa provenance ainsi que sur la technique précise de « tricot ».

Figure 1 – Bonnet « tricoté » retrouvé dans une fosse dépotoir de la basilique de Saint-Denis. Musée d’art et d’histoire Paul Eluard. Photo Emmanuelle Jacquot.

Complément ajouté en 2023 

 
Un article en anglais disponible sur academia.edu traite précisément de ce sujet et débunke les erreurs successives ainsi que l’imbroglio autour de ce terme ; il fait partie d’un ouvrage dédié à la soie de mer et à la teinture pourpre au coquillage, résultat d’un colloque italien de 2013 à Lecce “Treasures from the sea – sea silk and shell purple dye inAntiquity”.
 
Title : Byssus and sea silk: a linguistic problem with consequences
Author : Felicitas Maeder
Publisher: Oxbow Books, Oxford, 2017
Publication Name: TREASURES FROM THE SEA – Sea Silk and Shellfish Purple dye in antiquity, Edited by HEDVIG LANDENIUS ENEGREN AND FRANCESCO MEO
https://www.academia.edu/32434949/Byssus_and_sea_silk_a_linguistic_problem_with_consequences

 
On y apprend qu’en réalité, l’attribution du terme « byssus » aux filaments d’ancrage de certains bivalves marins reprise par Linné, vient d’une erreur de traduction antérieure de la part d’un érudit du XV° siècle qui a mal compris un mot grec et l’a donc mal traduit, en l’interprétant (« traduire, c’est trahir »).
 
Au final, la conclusion est identique : les filaments de Pinna nobilis et le tissu marin qui en dérivent sont nommés byssus en raison de leur ressemblance avec le très prisé byssus terrestre. Et non l’inverse.

On y apprend également que le byssus-soie-de-mer a probablement été appelé « laine de poisson » en même temps que « soie de mer ».

On pourra consulter également un article en français du même auteur. Il est différent, ce n’est pas une traduction stricte mais les même éléments sont repris et complétés :

Titre : La soie marine et son histoire : un produit textile de la Méditerranée
Auteur : Felicitas Maeder
 
Tout ce que vous voulez savoir à propos des byssus figure probablement dans ces articles dont je vous recommande vivement la lecture (en plus, c’est en ligne : vous n’aurez plus aucune excuse pour céder à la confusion…).
 
 
Un projet international existe, mené justement par Felicitas Maeder ayant pour but de recenser tous les objets en soie-de-mer des musées (avérés ou putatifs)  : https://muschelseide.ch/en/historical-aspects/
Figure 2 – Détails du recensement effectué par le projet Muschelseide – photo Muschelseide

 

 

Notes

Notes
01 une confusion qui demandera près de deux mois pour une rectification, alors que l’erreur était évidente : 99% des objets en soie de mer sont relativement petits et sont dorés ; une chemise ample, de femme, beige grisé aurait du mal à correspondre à cette matière http://www.guerriersma.com/forum/viewtopic.php?f=19&t=11152&sid=5fc23614bf61a7a3c1356161e7dd445f
02 https://www.cnrtl.fr/etymologie/bysse
03 https://www.cnrtl.fr/definition/byssus
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