Il s’agit de condenser dans ce billet une réflexion et des réponses parues dans un fil facebook[01]https://www.facebook.com/Mediaephile/posts/407036518091688 à propos d’un récent engouement, dans le hobby de la reconstitution XIII° s., pour le lin « non blanchi » à destination de vêtements d’individu de rang social modeste.
Linum usitatissimum
Le lin est un des plus anciens végétaux cultivés utilisés pour la confection de tissus. La partie utile est extraite de la tige des plantes au cours d’un long processus visant à faire pourrir l’enveloppe puis à la séparer des fibres : le rouissage est surveillé de façon à faire pourrir sans décomposition, puis le teillage ou tillage sépare la partie ligneuse de la filasse en la cassant d’abord à l’aide d’un gros hachoir de bois. La filasse obtenue subit alors le peignage qui vise à placer les fibres toutes dans le même sens afin de préparer le filage. Le fil obtenu n’est pas blanc, il est écru, légèrement teinté. S’il est roui dans l’eau, la teinte est dans une gamme de beiges, s’il est roui à l’air en plein champ, la teinte sera grisâtre. Le rouissage à l’eau est plus polluant mais également plus rapide. Un article intéressant ici : http://www.boiseau.fr/article31.html et ici : http://www.groupedepestele.com/pro_lin_culture.html
Le traitement du lin médiéval est assez peu documenté.
Quelques scènes de teillage et de battage sont repérables au XVI° s. (img 2, 3 ).
On peut se représenter la quantité de travail est les différentes étapes pour obtenir des fibres à tisser en étudiant les méthodes traditionnelles plus modernes, par exemple (je remercie Delphine D. pour le lien) :
A noter que « lin » est aussi le nom d’une gamme de couleurs (très tendance en déco, ce qui pourrait expliquer une obsession relativement récente).
La couleur du « lin naturel » aura tendance à passer avec le temps, les UV et la lessive pour devenir blanche. Pas d’un blanc éblouissant, mais loin de l’écru.
Comme tout traitement, ce processus a un coût en temps et en main d’oeuvre ; c’est ce qui est à l’origine de l’engouement récent pour le « lin non blanchi », pour l’usage de « personnages peu riches » (pourtant peu représentés dans le hobby) en suivant un raisonnement qui, à mon sens, est bancal : « puisque c’est coûteux, alors seuls les riches portaient du lin blanc ». L’objet de ce billet sera de montrer en quoi ce raisonnement est bancal et en quoi la recherche de lin « non-blanchi » peut déboucher sur plus d’erreurs que de bonnes choses.
Le lin est utilisé pour le linge de corps (auquel il a donné son nom) et donc destiné à être lavé fréquemment : il va donc fatalement blanchir sous l’action de la lessive. Même si la « buée » ou la corvée de lessive ne sont pas particulièrement documentées [02]BL, Holkham Bible f 15v, Dresde Mscr.Dresd.M.67 f124r, BNF Français 111, fol. 42v, pour le Moyen Âge, le linge « de corps » se lave forcément.
Le blanchiment sur pré ?
Le blanchiment : à ne pas confondre avec le blanchissage qui désigne plutôt l’action de nettoyer du linge.
Soit. Mais cher par rapport à quoi ? Cher par rapport au lin naturel produit en faible quantité pour une consommation domestique ? D’accord. Mais qu’est-ce qui empêcherait le récoltant d’exposer lui aussi sa production domestique à la rosée de ses prés ?
De fait, on ne connait ni représentation claire ni texte précis.
Il n’est pas interdit de penser que la lessive domestique réalisait les deux actions en une, mais cette activité régulière ne peut pas désigner l’action de blanchiment de coupons (comme il y a teinture de coupons) avant la vente des coupons.
Le blanchiment au soufre
Il n’est pas documenté pour le lin, même moderne [05]https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k97830791/texteBrut.
Il est connu du grand public pour le Moyen Âge essentiellement par cette illustration (img 6) :
Le commerce des étoffes de lin
Il est possible que la production des toiles [06]de même que drap est un terme générique désignant les étoffes de laine, toile est un terme générique désignant les étoffes végétale comme le lin et le chanvre avant d’être le nom d’une armure – le type d’entrecroisement des fils de tissage ait été règlementée, peut-être imposait-elle un niveau minimal d’exigence selon la destination des étoffes (habillement, emballage, transport) ? Il est certain qu’il existait différentes catégories d’étoffes de lin, de la plus fine à la plus grossière et des provenances sont plus réputées que d’autres.
Existe-t-il des normes, une règlementation du commerce ? Les coupons doivent-ils être obligatoirement blanchis ? Subissent-ils d’autres traitements avant la vente ? Un certain nombre de lavage, un séchage particulier, une forme de repassage ? Je ne dispose pas de cette documentation et si elle existe, les tenants du « lin blanc pour les riches » n’y font pas allusion eux non plus.
Epic fail pour du lin moderne teint en gris/beige filasse ?
Il n’est pas question ici de relancer le débat sans fin « oui mais de toute façon, nous n’avons pas les mêmes matière premières donc on ne peut rien reproduire du tout ». Il est question ici de bien réfléchir au pourquoi des choix, et à leur conséquence.
En l’occurrence, rechercher du lin moderne écru et finir par utiliser du lin moderne qui a été artificiellement teint de façon à conserver dans le temps sa couleur écrue, c’est un gros ratage : la couleur de ce coupon n’évoluera pas dans la temps de la façon naturelle du lin brut, et ce serait alors un mensonge de prétendre qu’il « reconstitue » ou même qu’il imite un coupon de lin médiéval « de non-riche ». Autant se contenter de lin blanc sans faire de manière.
La grande réussite serait plutôt de trouver une étoffe tissée réellement à partir de lin brut, le coupon étant donc écru, et de faire vivre le vêtement en le laissant évoluer tranquillement au fil des lessivages. Le budget sera différent, la motivation également (la volonté d’expérimenter au plus proche de la réalité vs. la volonté de montrer un état figé artificiellement).
Notes
⇧01 | https://www.facebook.com/Mediaephile/posts/407036518091688 |
---|---|
⇧02 | BL, Holkham Bible f 15v, Dresde Mscr.Dresd.M.67 f124r, BNF Français 111, fol. 42v, |
⇧03 | les bonnets masculins, les chausses masculines, les foulards ou les voiles féminins, les chemises des deux sexes |
⇧04 | http://gblanc.fr/IMG/pdf/parisot1985.pdf |
⇧05 | https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k97830791/texteBrut |
⇧06 | de même que drap est un terme générique désignant les étoffes de laine, toile est un terme générique désignant les étoffes végétale comme le lin et le chanvre avant d’être le nom d’une armure – le type d’entrecroisement des fils de tissage |