Au XIIIe siècle, la mode des manches partiellement cousues au vêtement permet d’enfiler ledit vêtement sans pour autant avoir les bras couverts. Le corps est couvert mais les bras sont dégagés ; les manches tubulaires pendent, dépassées, en arrière des bras.
Littéralement, le préfixe « dé- » indique une action contraire au verbe de base. On ne passe pas les bras dans les manches : les manches sont dé- passées.
Ceci s’applique également aux vêtements modernes. Veste, cardigan, imperméable simplement posés sur les épaules et les bras dégagés, tous peuvent se porter manches dépassées (fig. 1). Mais, si l’on peut porter une veste, manches dépassées, le vêtement n’est pas, lui-même, une « veste-à-manches-dépassées ». L’adjectif qualifie la façon de porter le vêtement et non le vêtement lui-même.
Une mode polyvalente
Il semble à certains plus savant de parler de cotte, de surcotte, de chape ou que sais-je. Il sera question ici de tuniques et de manteaux, cela est plus compréhensible.
Appelons ici tunique le vêtement simple, à manches longues, porté en toutes occasions, par dessus une chemise ou un autre vêtement léger. Les manches sont serrées au poignet, parfois ajustées tout le long de l’avant bras et amples au biceps. Il s’agit alors plutôt d’un vêtement léger ou de demi-saison, pas vraiment un vêtement chaud et il est dépourvu de capuche.
Appelons ici manteau le vêtement d’extérieur, utilisé notamment en voyage et porté sur d’autres vêtements (fig. 4) et pourvu d’une capuche.
Il existe d’autres vêtements chauds, laïques (non destinés spécialement aux clercs/moines), avec d’autres formes de manche, avec ou sans capuche. Ils ne seront pas traités dans ce billet.
Le port de manches dépassées s’applique aussi bien aux manteaux qu’aux tuniques.
De quelles manches parle-t-on ?
Il est bien question ici de manches, c’est à dire de formes globalement cylindriques (ou tronconiques), destinées à couvrir les bras en les accompagnant dans leurs mouvements, et cousues au vêtement, même partiellement.
Bien que les détails semblent parfois insuffisamment précis, il s’agit toujours, dans l’étude qui nous intéresse, d’un cylindre (ou d’un cône tronqué) et non de bandes flottant librement depuis les épaules par dessus les bras (fig. 2).
Même si parfois des dessins dans certains manuscrits laissent planer un doute, l’hypothèse moderne de simples pans fixés aux épaules est à rejeter : les manches qui nous intéressent sont bien des tubes plus ou moins cylindriques (ou tronconiques).
Il suffit d’examiner l’extrémité de la manche, lorsqu’elle est représentée, pour en être convaincu (fig. 4).
Une mode mixte
Au XIIIe siècle, cette mode est mixte et touche aussi bien les vêtements féminins que masculins. On la rencontre essentiellement à partir du second quart du siècle, jusqu’au moins le premier quart du XIVe siècle. Cette mode touche toutes les conditions, des plus modestes jusqu’aux plus fortunées (fig. 4).
Les tuniques
Les tuniques sont représentées aussi bien en scènes d’intérieur (fig. 9) que d’extérieur (fig. 5). Elles ne comportent pas de capuche, ce qui les distingue des manteaux.
Un vêtement à part
La tunique à manches partiellement attachées ne doit pas être confondue avec la tunique totalement dépourvue de manche (fig. 3), qui est également typique du XIIIe siècle (et que l’on retrouve avec une emmanchure un peu différente au XIVe siècle, puis exclusivement comme vêtement de prestige sur les souveraines et les saintes, ultérieurement, au XVe siècle). Certains les surnomment « surcot à portes de l’enfer ».
Pour le vêtement qui nous intéresse, les manches sont bien visibles. On les voit pendre, en arrière du bras (fig. 5, 9).
L’ouverture permettant de dépasser les manches semble englober l’aisselle ainsi que l’avant de l’épaule. Les bras dégagés apparaissent aussi bien colorés (fig. 5, 11) que blancs (fig. 9, 12), mais très rarement nus (fig. 13).
La tunique est donc montrée portée directement sur une chemise, blanche ou par dessus un autre vêtement aux avant-bras étroits.
L’on voit également des bras dégagés colorés, dans des scènes aussi bien en intérieur (repas) qu’en extérieur (travail). Tout en n’étant pas un vêtement chaud ni un vêtement de voyage, cette tunique n’est pas non plus un vêtement exclusivement léger, elle peut être portée par dessus un autre vêtement léger (fig. 5).
Lorsque l’activité l’exige, les manches peuvent même être nouées ensemble dans le dos, afin de ne pas gêner (fig. 6, 7, 8, 13).
L’ouverture d’aisselle sur les tuniques
Afin de permettre d’engager ou de dégager facilement le bras, l’ouverture ménagée doit être suffisamment accessible.
Elle est rarement explicitement montrée, mais le plus souvent, il semble que la couture fasse le tour de l’épaule, et s’interrompe devant et sous l’aisselle (fig. 10). Sachant d’une part que la mode XIIIe ne moule pas le buste, avec au contraire une coupe très lâche et sachant que d’autre part que les manches sont également très amples au niveau du biceps, avec un raccord descendant bas sous l’aisselle, le volume intérieur permet au bras de se faufiler relativement aisément. Le fait de ne coudre que partiellement (dessus de l’épaule et dos) suffit à ménager l’ouverture. Contrairement à ce que nous verrons pour les manteaux, il semble que ce soit le seul type d’ouverture pratiqué.
Dans la mesure où il s’agit d’une tunique relativement classique, et vu le détail des sculptures et peintures, il semble naturel de déduire que la manche « dépassable » est construite et assemblée (quoi que partiellement) comme une manche normale. La tête d’épaule ne tombe pas particulièrement sur le haut du bras mais bien à l’épaule, il n’y a pas de plis disgracieux témoins d’une tension anormale, la tunique a par ailleurs une allure de tunique simple.
Deux formes de manteaux
Le manteau (ou mantel) est un vêtement chaud, porté en extérieur et qui, s’il n’est pas un marqueur de saison, indique souvent un déplacement, un voyage. On trouve parfois l’appellation moderne de « garde-corps », sans qu’il soit réellement possible de distinguer l’un de l’autre. Ce vêtement est ample, long, descend à mi-mollet et surtout, il est doté d’une capuche. On le suppose en drap de laine foulonnée (c’est à dire que la laine est tassée, feutrée et rendue déperlante), il est probablement doublé mais l’intérieur est rarement visible. Il est mixte (fig. 18).
Il convient de distinguer deux coupes principales se différenciant par la forme des manches. Les deux coupes sont également amples, longues et dotées d’une capuche. Elles coexistent (fig. 14).
La première forme présente des manches très évasées s’arrêtant aux coudes (ou guère plus bas). Les mains et les avant bras étant très libres et peu couverts, la liberté de mouvement est très grande et ne justifie pas de dépasser les manches pour gagner en mobilité. Cette forme-là, qui est également mixte (fig. 15), ne nous intéressera pas plus dans ce billet.
La seconde forme présente des manches tubulaires qui couvrent les doigts et même largement au-delà, tombant parfois jusque sous les genoux (parfois même jusqu’à l’ourlet du bas du vêtement). Ces manches sont également amples. Elles sont abondamment plissées au raccord de l’épaule avec le cou (fig. 16). Ce sont ces manches-ci que l’on voit portées dépassées et c’est cette forme de vêtement qui nous intéresse dans ce billet.
En regardant attentivement le bas des manches dépassées, l’ouverture du « poignet » est très souvent représentée (fig 5 à 18, etc. ), ce qui confirme l’hypothèse de réelles manches tubulaires et exclue celle d’un simple pan d’étoffe.
A noter : à partir de 1280, ce manteau peut s’ouvrir par devant par une rangée de boutons, autant sur les femmes que sur les hommes.
Fig. 18b – Tombeau d’Etienne d’Obazine. Eglise d’Aubazine (Corrèze). Photos personnelles.
Des manteaux aux manches non totalement cousues
L’emplacement exact de l’ouverture pour glisser les bras hors du vêtement est difficilement discernable.
On devine parfois une ouverture à l’aisselle (fig. 16, 18b) similaire à celle des tuniques. Dans ce cas, le plissage présent sur la tête d’épaule (et uniquement la tête d’épaule) est bien visible et abondant. Ce plissage est présent uniquement sur les manteaux, on ne le voit pas sur les tuniques. Même si la quantité de plis laisse penser à une grande quantité d’étoffe, l’ouverture au poignet, bien que moins étroite que dans le cas des manches de tuniques, reste d’une circonférence raisonnable : les manches semblent être des tubes, mais à la coupe, il s’agit plus probablement de trapèzes que de rectangles.
Parfois la manche semble fendue dans sa partie avant, comme si la couture créant le cylindre était placée sur l’avant du vêtement et était simplement interrompue (fig. 19, 20, 21). L’emmanchure serait alors rattachée au corps de façon classique par une couture continue.
L’avantage de cette option est de protéger le torse du froid en couvrant bien les flancs, que le bras soit passé ou dépassé puisque la couture de l’emmanchure est complète. La manche doit alors être suffisamment ample pour permettre à l’avant bras de sortir sans difficulté, tout en garantissant un recouvrement suffisant.
Le niveau de détails des enluminures ne permet pas, a priori, de déduire avec précision la construction de la tête d’épaule. Toutefois, la sculpture du tombeau d’Aubazine (fig. 18b) ainsi que le lépreux des Images de la vie du Christ et des saints (fig. 16) et également la plate tombe de l’architecte Hugues Libergier[01]non illustrée dans ce billet, visible ici copyright oblige : https://www.flickr.com/photos/24271543@N03/14207337054/sizes/o/ montrent nettement que les plis ne partent pas de la tête d’épaule mais semblent remonter jusqu’au cou, à l’insertion de la capuche, en oblique, à la façon de manches raglan. La contrainte de poids sur les plis serait telle qu’un montage de type raglan est à rejeter. Reste la solution d’assembler la tête de manche, plissée, par dessus l’épaule, et cousue le long du col[02]C’est la solution qui a été choisie par Cité D’Antan : Le garde-corps XIIIe : tutoriel pas à pas.
Terminons ce tour d’horizon avec curiosité inclassable (fig. 22) : un vendangeur italien, en chemise, avec les manches nouées dans le dos ! Y avait-il également des chemises aménagées de façon à être portées manches dépassées ?
Notes
⇧01 | non illustrée dans ce billet, visible ici copyright oblige : https://www.flickr.com/photos/24271543@N03/14207337054/sizes/o/ |
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⇧02 | C’est la solution qui a été choisie par Cité D’Antan : Le garde-corps XIIIe : tutoriel pas à pas |