XIII° s. Le cas des cols

C’est une telle évidence que le sujet est peu abordé : il faut pouvoir enfiler ses vêtements, qu’ils soient réalisés en étoffe souple et élastique ou plus rigide, de façon à ce qu’ils soient suffisamment confortables et suffisamment protecteurs (donc suffisamment ajustés).

Au XIII°siècle, la mode tant masculine que féminine figurée sur les peintures, les dessins et les sculptures montre des vêtements à encolure portée au ras du cou. D’un point de vue pratique, cela signifie qu’il faut alors trouver un compromis : soit passer la tête par une ouverture étroite, soit ménager un système d’ouverture refermable.

Vocabulaire

Cela va peut-être en surprendre certains, mais il existe une différence entre « col » et « encolure ».

L’encolure est la « partie échancrée d’un vêtement autour du cou », synonyme de décolleté [01]encolure dans le Larousse ou encore la « partie du vêtement par où passe la tête » [02]encolure dans le CNRTL.

Le col, lui, est la « partie rapportée d’un vêtement en bordure de l’encolure » [03]col dans le Larousse.

Il y a donc systématiquement une encolure, mais pas forcément de col. Ce qui est le cas de la majorité des vêtements du XIII° s. couvrant le torse, à l’exception de certaines capes à col de fourrure.

Du cou coup, contrairement à ce qui est indiqué dans le titre du billet, nous parlerons ici d’encolure et non de col, car même si des éléments des dispositifs d’ouverture que nous allons lister sont parfois rapportés au vêtements (les rabats), techniquement et d’un point de vue de couture, ils ne sont pas « rapportés en bordure du tour de cou », il ne font d’ailleurs même pas le tour du cou ; leur rôle est d’ augmenter la circonférence (ou parfois le périmètre, car ce n’est pas un cercle) de l’encolure.

 

Quels vêtements ?

Nous nous intéresserons ici aux vêtement « de dessus » couvrant le torse en excluant les chemises près eu corps : les tuniques à manches (aussi appelées cottes), les tuniques sans manche (souvent appelées surcot), les manteaux à manches et capuche (parfois appelés chapes).

Il sera assez difficile de différencier une cotte portée seule et un surcot à manches (sauf si l’encolure du surcot est en V et rend visible celle de la cotte en rond, ou si les manches sont portées dépassées). Deux autres types de vêtements sont plus faciles à isoler : d’une part les manteaux à manches et capuche, et d’autre part les surcots sans manche typiques du siècle.

 

Quelles encolures ?

Bien que les représentations signalent la présence d’un objet, d’une particularité, d’un décor, d’une couleur, nous savons qu’elles ne les reproduisent pas aussi fidèlement que le ferait une photographie[04]l’esthétique du dessin, l’épaisseur du trait, la taille du dessin sont autant de contraintes qui limitent cette fidélité : certains boutonnages nous échappent peut-être malgré une observation attentive.

Toutefois il semble que la proportion d’encolures fixes par rapport aux encolures ouvrantes ne soit par liée au niveau de détail choisi par les artistes. En effet, certaines encolures ouvrantes ne figurent pas dans des oeuvres isolées, mais se trouvent dans des manuscrits aux illustrations homogènes, parmi une majorité d’encolures rondes manifestement fixes.

La proportion entre encolures fixes (rondes ou en V) et encolures ouvrantes pourrait être alors considérée comme une représentation correcte de la réalité : les premières sont beaucoup plus nombreuse que des secondes, et parmi ces dernières, certains dispositifs sont rares.
Le mode de fermeture en lui même n’est pas très varié : soit une broche annulaire, soit un ou plusieurs boutons ; mais dans le cas d’un boutonnage, plusieurs dispositif sont repérables.

Le cas des manteaux avec des manches et une capuche peut-être considéré différemment des cottes et surcot : si l’ouverture boutonnée n’est pas systématique, elle est, en proportion, plus présente sur les manteaux que sur les autres vêtements, ce qui reste logique d’un point de vue pratique.

Boutonnage

Un bouton peut remplir son rôle d’assemblage soit en passant au travers du tissu dans une boutonnière, soit glissé dans une bride rapportée.

 

Boutonnage par brides rapportées. Exercice et photo : travail personnel

Pour une meilleure efficacité, la fente d’une boutonnière est parallèle à la traction ; c’est à dire que lorsque l’on tire sur les deux parties assemblées, le bouton va naturellement buter à une extrémité de la fente et non pas tirer sur la largeur de l’entaille au risquer de glisser au travers.

Boutons et boutonnières traversant le tissu. Exercice et photo : travail personnel.

 

C’est ainsi qu’en général (sauf effet esthétique particulier comme sur les chemises et chemisiers modernes), les boutonnières sont perpendiculaires aux bords à assembler mais à distance raisonnable afin de ne pas déchirer l’étoffe ).

Encolure simple

Quelques encolures en V (img 1) abondantes au siècle précédent sont toujours présentes, mais l’immense majorité des encolures de cottes et surcots est figurée arrondie, tant sur les hommes que sur les femmes (img 2).

Image 1 – USA, NY, Morgan Library, Crusader Bible, m638, f17v. ca 1240. Photo MLM
Image 2 – Paris, BNF, Girard d’Amiens , Li Contes de Meliacin, Français 1633, f4r. ca 1285. Photo Gallica

 

Encolure élargie par une fente verticale

L’encolure reste arrondie au ras du cou, mais une courte fente verticale en augmente le périmètre et facilite le passage de la tête. L’encolure vue de face forme une sorte de « T ». Le terme « amigault » (ou amigaut) est synonyme de fente, il ne désigne pas l’encolure en elle même et non [05]voir amigault dans le Godefroy.

Image 3 – Paris, BNF, Emblèmes bibliques, Latin 11560, f59v. Photo Gallica

Sur les cottes et surcots à manches, cette fente est parfois maintenue close par une petite broche annulaire (img 3bis) appelée fermail. Il s’agit d’un bijou utilitaire peu utilisé au XII°s., très présent au XIII°s. et que l’on verra encore au XIV°s. et beaucoup moins au XV°s, sur les femmes comme sur les hommes.
 

Image 3bis – Image – USA, NY, Morgan Library, Crusader Bible, m638, f13v. ca 1240. Photo MLM

Encolure élargie par une fente verticale boutonnée

Sur des surcots tant masculins (img 4) que féminins (img 5), cette fente est fermée par une série de boutons ronds (sur les dessins) ou plus probablement sphériques ou hémisphériques (tels que sur les sculptures). Ce type d’ouverture n’est pas fréquente mais elle n’est pas marginale non plus.
Parfois, le doute est possible : s’agit-il de boutons décoratifs car il n’y a ni ligne de démarcation ni boutonnière ni bride (img 4) ou bien d’une ouverture véritable (img 5, 6) ?

Image 4 – Six boutons en ligne verticale centrale sur un surcot. Hermann dans la cathédrale Saint Pierre et Saint Paul de Naumbourg. ca 1250. Photo wikipedia

Les manteaux d’homme (img 6) et de femme (img 5) ont très souvent mais pas systématiquement une fente boutonnée ; elle descend un peu plus bas que sur les tuniques.

Image 5 – Les manteaux de femmes peuvent également s’ouvrir avec des boutons. Marseille, Bib. Mun., Heures à l’usage de Thérouanne, BM 111, f146v . Ca 1280. Photo IRHT
Image 6 – (voir aussi f 255v, 262r) UK, Cambridge, Trinity College, Medical Miscellany including Roger of Palma, Surgical Treatise, O.1.20, f242r. Angleterre, début XIII° s. Photo Cambridge Trinity College

La plupart du temps, le boutonnage vertical d’un surcot ou d’un manteau se trouve au centre de la poitrine (img. 6), mais quelques illustrations le montrent nettement décalé sur le côté (img 7, 8) tout en restant bien vertical.

Image 7 – La fente boutonnée semble décentrée. Verticale mais décentrée. Paris, BNF, Chansonnier provençal, Français 12473, f68v. Italie. 2e moitié du XIII. Photo Gallica
Image 8 – La fente boutonnée semble décentrée. Verticale mais décentrée. Paris, BNF, Chansonnier provençal, Français 12473, f68v. Italie. 2e moitié du XIII. Photo Gallica

Le plus souvent, les boutons des fentes verticales sont figurés à distance de la fente et non sur la lisière ce qui, d’un point de vue pratique suggère la présence de boutonnières. Plus rarement (img 6), les boutons sont sur la lisière de la fente, ce qui, dans le cas d’un dessin délibéré et non d’une erreur fortuite, serait techniquement compatible avec des fermetures par bride.

L’ouverture frontale et verticale est de loin la plus représentée parmi les types d’élargissement d’encolure. Il en existe de plus rares, voire marginales.

 

Encolure élargie par une fente oblique fermée par une ligne de boutons

La fente commence au centre, au niveau du sternum et part en biais vers l’épaule (img 9). Le plus souvent vers l’épaule gauche (img 9, 10, 12) mais parfois vers la droite (img 11).
La présence de boutons dessinés sur la pointe mobile (sauf image 11) suggère que c’est le rabat qui porte les boutonnières et l’autre partie les boutons. On peut supposer qu’il y a un recouvrement au moins léger, afin que le vêtement remplisse son rôle de protection contre le froid.

Cette fente oblique est observée sur des surcots avec ou sans manche (img 9, 10, 11, 13) mais aussi sur un manteau (img 12). Elle n’a été repérée que sur des hommes. Je n’ai pas d’exemple de ce rabat déboutonné et ouvert.

Image 9 : Peut-être l’encolure en biais la plus connue. Un homme menant un aveugle qui sera soigné par le roi. UK, Cambridge, University Library. Life of St Edward the Confessor, MS Ee.3.59,. Angleterre. c. 1250-60. Photo Cambrige University Library
Image 10 – Peut-être la seconde encolure en biais la plus connue. UK, Cambridge, University Library. Life of St Edward the Confessor, MS Ee.3.59, f22r. Angleterre. c. 1250-60. Photo Cambrige University Library
Image 11 – Noter le bouton isolé sur l’épaule gauche et les boutons curieusement disposés, du mauvais côté de la fente et qui pourraient faire penser à la présence de brides. UK, Cambridge, Trinity College, Medical Miscellany including Roger of Palma, Surgical Treatise, O.1.20, f259r. Angleterre, début XIII° s.. Photo Cambridge Trinity College
Image 12 – Reims, Cathédrale, portail Ouest, archivoltes. Photo Bildindex
Image 13 – Boutonnage vertical et boutonnage oblique sur des surcots. Noces de Cana. USA, NY, Morgan Pierpont Library, Psalter-Hours of Guiluys de Boisleux, M730, f13r. France ca. 1243-1246. Photo ML
Image 13bis- UK, Oxford, Bodleian Library, Apocalypse, ms Douce 180, page 40. Photo Bodleian Library

En une occasion (img 11), on peut supposer un bouton unique à l’opposé de la pointe du rabat, de l’autre côté du cou.
Ce dessin en particulier montre des boutons sur le corps de la tunique et non sur le rabat, ce qui permet (au moins) deux hypothèses : soit une fermeture par brides fixées sur le rabat avec les boutons sur la partie fixe, soit des boutons sur le rabat et des boutonnières sur la partie fixe, le rabat passant en dessous de la partie fixe ; les autres boutonnages (verticaux) de l’ouvrage (f.242r, f.255v, f. 262r) montrent également des boutons en lisière, incomplètement ronds (img 6) ; c’est vraiment très particulier et propre à cet ouvrage.

 

Encolure élargie par une fente oblique fermée par au maximum un bouton au bord du cou

En position fermée

La fente commence au centre, au niveau du sternum et part en biais vers l’épaule.
Lorsque cette encolure est fermée, elle est très discrète et peu repérable sauf au bouton de fermeture (qui est même parfois absent ou peu visible : img 18). On pourrait même la confondre avec un replis de tissu sur une tunique trop ample (img 14).

 

Image 14 – Probablement un repli naturel sur une tunique trop ample sur Jésus. Dans le même ouvrage, de véritables encolures à deux rabats ouverts sont  représentées (f11v, f12v, f13v…). Le repas chez Simon. Besançon, Bib. Mun. , Psautier cistercien, m54, f7r. Ca. 1260. Originaire de l’actuelle Suisse. Photo IRHT

 

Un dispositif de fermeture similaire (le trait n’est pas rectiligne) est connu avant le XIII°s. (img 15, 16, 17) et le bouton de fermeture peut être particulièrement visible, soit qu’il ait véritablement été énorme, soit qu’il soit volontairement mis en valeur.

Image 15 – Augustin disputant avec Faustus. Bib. Mun. Avranches, Contra Faustum Manichaeum, ms090, f1v – vers 1050-1065. Photo IRHT
Image 16 – Saint Augustin écrivant. Bib. Mun. Avranches, Genesi ad litteram (De), m75, f Cv. vers 1050-1065. Photo IRHT
Image 17 – Paris, BNF, Ambrosius Mediolanensis, Opera, Latin 2639, f31v. vers 1050-1065. Photo Gallica

En présence d’une encolure au rabat fermé avec un seul bouton nettement visible, plusieurs hypothèses sont possibles, dont (au moins) les deux suivantes :
– il n’y a qu’un seul rabat et un faible recouvrement sur la partie fixe (le vêtement sera peu étanche au froid)
– il y a deux rabats superposés, et le rabat intérieur est maintenu en place par un dispositif peu visible (ou même caché ?) (img 19) .

Parfois, l’ouverture en biais est bien signalée, mais le niveau de détail des oeuvres ne permet pas de repérer la présence de boutons : ni boutons en ligne oblique, ni bouton à l’épaule (img 18).

Image 18 – Londres, BL, Yates Thompson 11 f. 52v. France. ca 1290. Photo BL

Parmi les modèles avec un seul bouton figuré (Chartres, img 19 à 21 et Crusader Bible, img 22 à 26), il arrive que le bouton de la pointe du rabat soit particulièrement net, avec une précision permettant de voir la bride retenant le bouton (img 25).

Image 19 – Saint Jacques le Majeur. Chartres, cathédrale Notre Dame, portail Sud, baie centrale, ébrasement droit. ca 1198-1230. Photo Columbia University
Image 20 – Bourreau de saint Etienne. Chartres, cathédrale Notre Dame, portail Sud, baie de gauche, linteau. ca 1198-1230. Photo Columbia University
Image 21 – Prophète. Chartres, cathédrale Notre Dame, portail Nord, baie de droite, porche intérieur gauche. ca 1198-1224. Photo Columbia University
Image 22 – USA, NY, Morgan Library, Crusader Bible, m638, f3v.  (voir aussi f4v). ca 1240. Photo TheMorgan
Image 23 – Image – USA, NY, Morgan Library, Crusader Bible, m638, f13v. ca 1240. Photo TheMorgan
Image 24 – USA, NY, Morgan Library, Crusader Bible, m638, f29v. ca 1240. Photo TheMorgan
Image 25 – USA, NY, Morgan Library, Crusader Bible, m638, f31v. ca 1240. Photo TheMorgan
Image 26 – USA, NY, Morgan Library, Crusader Bible, m638, f37v. (voir aussi 42v). ca 1240. Photo TheMorgan
Image 27 – UK, Oxford, Bodleian Library, Apocalypse, ms Douce 180, page 36. Photo Bodleian Library

Qu’observons nous ? Soit une absence totale de bouton (img 18), soit un unique bouton à l’épaule (img 22 à 27) ou au cou (img 19 à 21).

Que peut-on déduire et comment peut-on traduire en couture ce qui est représenté ?

– De l’absence de bouton nous pouvons déduire que les boutons ne sont pas jugés suffisamment importants pour être signalés (soit que l’artiste ne sache pas comment le rabat ferme, soit qu’il s’agit d’une évidence pour tout le monde, soit que le ou les boutons soient discrets et sans autre rôle particulier – notamment pas de rôle ornemental).

– De la présence d’un seul bouton, nous pouvons déduire qu’il y a au moins un rabat à fixer ; sachant qu’un second rabat peut être également être présent et maintenu de façon encore plus discrète, à l’intérieur du vêtement, sans qu’il soit possible d’évaluer sa surface ni sa forme. Nous pouvons également déduire, puisque ce bouton est visible, qu’il peut soit être cousu à la pointe du rabat et maintenu par une bride sur la cotte (img 23), soit être cousu sur la cotte et passer dans une boutonnière pratiquée à la pointe du rabat (img 38).

Ce type d’ouverture, peu fréquente, n’a été repéré que sur des hommes. Dans la mesure où cette ouverture n’est déjà pas très présente sur les hommes, et que les représentations de femmes sont largement inférieures en nombre aux représentations d’hommes, les chances d’en identifier sur des femmes semblent plutôt minces.

 

Encolure élargie par une fente oblique fermée par deux boutons

En position ouverte

D’assez rares illustrations d’encolures à rabats ont été repérées en position ouverte. Elles permettent de confirmer que l’hypothèse de deux rabats superposés est valide, même si elle n’est pas l’unique possibilité.
Ce type d’ouverture oblique, avec seulement deux boutons (voire trois) a été repéré  principalement sur des hommes. Dans la mesure où cette ouverture n’est déjà pas très présente sur les hommes, et que les représentations de femmes sont largement inférieures en nombre aux représentations d’hommes, les chances d’en identifier sur des femmes semblent assez minces mais il en existe au moins une (img 28).

Image 28 – UK, Oxford, Bodleian Library, Apocalypse, ms Douce 180, page 42. Photo Bodleian Library
Image 29 – Encolure à rabats superposés, sur un surcot. Paris, BNF, Frère LAURENT, [Somme le Roi], Français 938, f120v. 1294. Photo Gallica.
Image 30 – Encolure à deux rabats superposés, sur un manteau à manches en demi-cercle. Paris, BNF, Frère LAURENT, [Somme le Roi], Français 938, 74r.  1294. Photo Gallica.
Image 31 – Encolure à deux rabats superposés, sur un manteau à manches en demi-cercle. Paris, BNF, Frère LAURENT, [Somme le Roi], Français 938, 143r. 1294. Photo Gallica.

 

Image 32 – Encolure à rabats superposés, ouverte. Deux boutons. Ouvrage en vieux français. UK, Cambridge, Trinity College, Medical Miscellany including Roger of Palma, Surgical Treatise, O.1.20, f243v. Angleterre, début XIII° s.. Photo Cambridge Trinity College
Image 33 – Encolure à double rabat montré ouverte, à deux boutons. Paris, BNF, Chansonnier provençal, Français 12473, f68v. Italie. 2e moitié du XIII. Photo Gallica
Image 34 – Encolure à deux rabats montrée ouverte, à deux boutons. Paris, BNF, Chansonnier provençal, Français 12473, f68v. Italie. 2e moitié du XIII. Photo Gallica
Image 35 – Encolure à deux rabats montré ouverte, à deux boutons. Paris, BNF, Chansonnier provençal, Français 12473, f68v. Italie.2e moitié du XIII. Photo Gallica

 

Sur la plupart de ces illustrations (img 27 à 35), la pointe de chacun des rabats est garnie d’un bouton [06]sauf Paris, BNF, Français 938, 143r – img 31. On  note également la taille assez imposante des boutons dans la plupart des représentations [07]sauf UK, Cambridge, Trinity College, Medical Miscellany including Roger of Palma, Surgical Treatise, O.1.20, f243v – img 32, au moins l’équivalent de l’iris d’un oeil.

Remarquons également que les encolures à deux rabats peuvent présenter non seulement un bouton sur chaque rabat, mais en plus, un bouton au centre, tout en bas de l’encolure, à la jonction des deux rabats avec de la cotte (img 36, 37, 38) ; ce troisième bouton semble être une spécialité de la sphère d’influence germanique (Besançon BM. m54 est un manuscrit originaire de l’actuelle Suisse).

Image 36 – Encolure à double rabat montrée ouverte, à trois boutons. Besançon, Bib. Mun., Psautier de Bonmont, m54, f11v. vers 1260. Photo IRHT
 
Image 37 – Encolure à deux rabats ouverte (aussi sur f12v, f13v…) et un troisième bouton au centre. Originaire de l’actuelle Suisse. Besançon, Bib. Mun., Psautier cistercien, m54, f7r. vers 1260. Photo IRHT

 

Qu’observons nous sur les images 27 à 37 ?
Le périmètre de l’encolure est agrandi par l’ajout de deux rabats symétriques superposables.
Chacun des rabats porte un bouton à son extrémité (sauf img 31, mais dans le même manuscrit, les deux autres encolures à 2 rabats ouverts montrent deux boutons), bouton qui est toujours figuré assez volumineux (au moins le diamètre de l’iris d’un oeil ou l’épaisseur d’un doigt).

Que peut-on déduire et comment peut-on traduire en couture ce qui est représenté ?

La présence d’un bouton sur la pointe du rabat du dessus rend obligatoire la présence d’une bride sur l’extérieur du vêtement.
La présence d’un bouton sur la pointe du rabat du dessous interroge sur la présence d’une boutonnière sur la cotte (ce qui, l’encolure fermée, rendrait visible ledit bouton, img 39, 40) ou d’une bride à l’intérieur (qui cacherait ledit bouton mais serait inconfortable à porter si le bouton intérieur est aussi volumineux que le bouton extérieur, comme cela est dessiné).

Une sculpture propose une autre solution pour l’encolure « germanique » à trois boutons (img 38) : le rabat du dessus (côté droit de Dietrich)  montre l’entaille d’une boutonnière, le rabat du dessous porte un gros bouton, qui passera dans une boutonnière près du cou. Ce dispositif sculpté est différent des dispositifs dessinés (img 27 à 37) ; une fois fermé, deux boutons seront visibles, chacun de part et d’autre du cou, plus un troisième à la jonction des deux rabats et du vêtement.

Image 38 – Dietrich von Brehna. Naumburg, cathédrale saint Pierre et saint Paul. Ca 1250-1260. Photo Bildindex

En position fermée

Dans un cas particulier d’encolure en V  et non ronde, il semble y avoir deux rabats asymétriques, l’un étant maintenu au niveau de l’épaule comme habituellement, mais l’autre bouton se situant dans le creux du V (img 39).

De la présence de deux boutons, nous pouvons déduire qu’un (petit) rabat interne – dont nous savons localiser l’extrémité – nécessite également d’être maintenu en place en plus du rabat externe visible. Le rabat externe peut soit porter un bouton passant dans une bride sur la cotte, soit présenter une boutonnière au travers de la laquelle passer un bouton fixé sur la cotte. Un second bouton étant visible au creux du V, la seule possibilité pour le rabat interne, est qu’il porte un bouton passant au travers d’une boutonnière pratiquée dans la cotte.

 

Image 39 – Paris, BNF, Emblèmes bibliques, Latin 11560, f1v. Vers 1225-1250 pour la partie conservée à Londres. Photo Gallica

Le cordonnier de Notre Dame de Chartres (img 40) présente ces deux boutons de part et d’autre du cou, mais pas le troisième en bas de l’encolure : l’encolure de ce jeune homme peut aussi bien être la combinaison de deux rabats à boutons, ou bien d’un rabat portant un bouton plus un rabat portant une boutonnière.
Toujours à Chartres, un ange de la Nativité (linteau de la baie de gauche du portail Nord) présente une encolure comme celle du cordonnier (son voisin ne montre qu’un seul bouton).

Image 40 – Cordonnier (?). Chartres, cathédrale Notre Dame, Portail nord, baie de gauche, voute. ca. 1198-1224. Photo Bildindex
 

Boutonnage sur l’épaule

Cette représentation est fort rare mais mérite d’être signalée. Elle est connue notamment par une cotte portée manches dépassées par un enfant (img 41).
(l’observation montre que les enfants autonomes sont généralement vêtus comme les adultes).

Image 41 – Tombeau dans Elisabthkirche à Marbug. – Teilansicht des Sohnes der Verstorbenen von oben. Marburg, Elisabethkirche – 1274. Photo Bildindex.

Nous connaissons un autre exemple plus tardif sur un manteau à manches amples non plissées (img 42) et sur des surcots de femme (img 43, 44).

Image 42 – Paris. Musée du Moyeb Âge de Cluny. Cl. 23408. Pierre d’Alençon. Poissy (Yvelines), après 1297. Photo Musée de Cluny
Image 43 – UK, Oxford, Boddleian Library , Psalter (known as the ‘Ormesby Psalter’), MS. Douce 366, f55v. ?c. 1280–1300. Photo Bodleian Library
Image 44- Paris, BNF, Fr 938, f 47v. 1294. Photo Gallica.

Un remerciement spécial à Sihame, qui m’a rappelé ces exemples fin XIII° s., début XIV° s (images 45-47) :

Image 45 – BM Metz, Très riches heures de Metz, s 1588, f.113r – Photo Bibliothèques-Médiathèques de Metz
Image 46 – BM Metz, Très riches heures de Metz, s 1588, f.116r – Photo Bibliothèques-Médiathèques de Metz
Image 47 – BM Metz, Très Riches Heures de Metz, s 1588, f.136v – Photo Bibliothèques-Médiathèques de Metz

Conclusion

 

Les encolures simples, sans ouverture, ras de cou ou en « V » sont majoritairement représentées aussi bien en France qu’en Angleterre, en Italie ou dans  la zone d’influence Germanique.

Néanmoins, la mode mixte « ras de cou » du XIII° siècle n’ignorait pas le confort d’une encolure ouvrante et les dispositifs sont divers : une courte fente verticale centrale laissée libre ou fermée d’une broche, fente verticale fermée par une série de boutons, fente oblique fermée d’un ou deux boutons au niveau de l’épaule, boutonnage sur l’épaule…

Concernant les dispositifs d’élargissement de l’encolure, il convient de faire la distinction entre les vêtements légers et les vêtements chauds.

Sur les manteaux, qui sont des vêtements chauds à manches longues et à capuche, principalement portés en extérieur ou en voyage[08]mais pas seulement : les médecins en sont souvent dotés, devant des patients ou professant, l’enfilage par dessus la tête est facilité quasiment systématiquement par une longue fente boutonnée. Cette fente est le plus souvent centrale et verticale sur les femmes comme sur les hommes, mais il y a de rares représentations sur des hommes seulement, de fente verticale déportée sur le côté, ou de fente oblique.

Sur les vêtements légers, la courte fente verticale non boutonnée est majoritaire parmi les encolures ouvertes ; on la rencontre aussi bien sur les femmes que sur les hommes. Elle peut être ornée d’une broche unissant les deux pointes mais ce n’est pas systématique, ni sur les hommes ni sur les femmes. Cette encolure en « T » est visible principalement sur des tuniques colorées mais également sur des vêtements de dessous, blancs, probablement de simples chemises.

Toujours sur les vêtement légers, sans capuche, il n’y a pas de distinction particulière entre les tuniques à manches (portées en enfilant les manches, ou non) et les surcots sans manche : les deux types de vêtements peuvent montrer une fente boutonnée verticale. Dans ce cas, le port est mixte.

De même, avec ou sans manche, les tuniques peuvent présenter une fente oblique, quel qu’en soit le nombre de boutons (un, deux ou plus) ; toutefois, elles n’ont à ce jour  été repérées que sur des hommes (ou sur des anges).

Le boutonnage sur l’épaule d’un surcot sans manche semble n’intéresser que les femmes.

Concernant le statut social, il est bien difficile de trancher car les classes sociales inférieures sont moins représentées que les autres. Malgré tout, au moins un cordonnier et un vigneron sont représentés avec rabat oblique. Ainsi que des médecins, des chanteurs, un prophète, des saints, des anges, un guide d’aveugle…

Dans tous les cas, la nature des boutons est difficile à deviner : des boutons en tissu, en os, en corne ou alliage cuivreux sont tout autant possibles. Leur forme est au minimum ronde (d’après les dessins et peintures) et plus souvent sphérique/hémisphériques (d’après les sculptures, sauf le cordonnier de Chartres img 40).

 

  Manteau (capuche + manches)   Cotte ou Surcotte à manches   Surcot sans manche  
  Femmes Hommes Femmes Hommes Femmes Hommes
Encolure fixe en rond     2; 2; 2; 2
Encolure fixe en V     3bis; 1;    
Encolure fixe en T       3;    
Fente verticale centrale nombreux boutons 5; 6; 51 47; 51; 26; 4; 13;
Fente verticale décentrée nombreux boutons       7; 8    
Fente oblique nombreux boutons   12;   10; 13bis;   9; 11; 13;
Fente oblique
1 bouton
  48;   18; 19; 20; 21; 22; 23; 24; 25; 26; 27; 49; 50; 51    
Fente à rabats  croisés   30; 28 29; 31; 32?; 33; 34; 35; 36; 37; 38; 40; 51   32?; 39; 
Quelques boutons à l’épaule   41; 42; 45; 46;   43; 44;  

 

Annexe

autres encolures collectées postérieurement à la rédaction du billet :

image 48 – Bodleian Library MS. Douce 366, f9v  – Psalter (‘Ormesby Psalter’) – Photo Bodleian Library

 

Celle-ci remonte à la fin du XII° s mais fait partie de la même famille :

 

Image 49 – Fresques dites de Saint Gilles au Loroux-Bottereau. Encolure boutonnée à droite pour le pèlerin tout à gauche. Vers 1170-1180. Photo wikipédia
image 50 – Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, Vat.lat.17. f.375v. Photo Biblioteca Apostolica Vaticana
Image 51 – Quatre encolures boutonnées, sur des vêtements différents. Tristan à la cour du roi Marc. Londres, BL, Additional 11619 f. 6 . M2 XIII. Photo BL https://www.bl.uk/catalogues/illuminatedmanuscripts/ILLUMIN.ASP?Size=mid&IllID=58821
Image 52 – Trogir (Croatie).  Portail de la cathédrale st Laurent. Zodiaque, Mars : taille de la vigne. Maitre Radovan. Vers 1240. Photo  Anatoliy Smaga pour Wikimedia Commons

 

 

Notes

Notes
01 encolure dans le Larousse
02 encolure dans le CNRTL
03 col dans le Larousse
04 l’esthétique du dessin, l’épaisseur du trait, la taille du dessin sont autant de contraintes qui limitent cette fidélité
05 voir amigault dans le Godefroy
06 sauf Paris, BNF, Français 938, 143r – img 31
07 sauf UK, Cambridge, Trinity College, Medical Miscellany including Roger of Palma, Surgical Treatise, O.1.20, f243v – img 32
08 mais pas seulement : les médecins en sont souvent dotés, devant des patients ou professant

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