Signet : petit objet permettant de repérer certaines pages d’un volume de façon à pouvoir l’ouvrir immédiatement à l’endroit désiré. [01]http://www.palaeographia.org/vocabulaire/pages/page63.htm
Comment procédez-vous pour repérer une page ou un passage en particulier dans un livre ? Dans un livre de poche de consommation courante certains n’ont aucun scrupule à corner une page, au risque de l’endommager. D’autres plus soigneux utilisent un repère amovible qu’ils promènent de livre en livre. Dans certains ouvrages luxueux, un ruban fin appartenant au livre, appelé signet de tête peut être déplacé de page en page[02]http://www.palaeographia.org/vocabulaire/pages/page63.htm.
Cette préoccupation n’est pas moderne et les manuscrits médiévaux offrent leur lot d’astuces pour marquer une page.
Marquage fixe
Dans les catalogues publicitaires, je déchire une portion de la page pour la rabattre vers l’extérieur ; est-ce une méthode moderne ? Pas vraiment. Les exemples de languette de parchemin découpée, repliée, insérée et rabattue vers l’extérieur ne sont pas rares, et parfois élaborées (fig. 1,2). On les appelle signets en queue de charte[03]http://www.palaeographia.org/vocabulaire/pages/page63.htm.
Le même résultat peut être obtenu avec quelques incisions dans lesquelles sont glissées une ou deux fines lanières de cuir simples (fig. 3) ou plus élaborées (fig. 4), voire une cordelette (fig. 5).
D’autres signets s’apparentent aux onglets modernes : une languette de parchemin ou de cuir est collée sur la page et dépasse de la tranche.
Certains onglets rapportés sont plus élaborés, le lien de cuir est terminé par un bouton noué (fig. 8) qui est très visible sur la tranche.
D’autres sont si nombreux qu’il en résulte une jolie pagaille dans laquelle il doit être difficile de se repérer (fig. 9).
Remarque : ces onglets sont collés et non cousus. La force exercée lors de la recherche et de l’ouverture à la page déchirerait probablement le parchemin ou le papier s’il y avait des points de faiblesse avec les perforations.
Marquage mobile simple
A la manière des signets de tête, ces cordelettes ou ces fines lanières de cuir se glissent entre deux pages. Elles sont réunies en haut de l’ouvrage, et parfois fixées sur la tranchefile.
Figure 9 – « Auckland Libraries, Sir George Grey Special Collections, Med. MS S.1588. Photo Alexandra Gillespie, from her blog Medieval Bookbindings ». https://medievalbooks.nl/2014/09/22/smart-medieval-bookmarks/
Marquage mobile pour un paragraphe ou une colonne
Quelques dispositifs ingénieux ont été retrouvés dans des manuscrits : ce sont des molettes, fixées à un ruban ou une cordelette.
Le ruban marque la page désirée et la molette peut afficher plusieurs valeurs, indiquant le paragraphe ou plutôt la colonne (fig. 10) à examiner ; il y a 4 positions sur la molette parce que le plus souvent, le livre étant ouvert, il y 2 colonnes sur chaque page.
Il en existe à la bibliothèque municipale d’Autun[04]https://bibulyon.hypotheses.org/829.
Signets amovibles : les bijoux de livre
Ces petits accessoires passent facilement sous les radars lorsqu’on observe les tableaux, et peu sont parvenus jusqu’à nous. Mais les peintures détaillées du XVe siècle nous en offrent une grande variété.
S’ils sont de forme cylindrique dont la longueur est de l’épaisseur du manuscrit, ils sont appelés pipes[05]http://www.palaeographia.org/vocabulaire/pages/page63.htm. Ils apparaissent dorés ou argentés, et décorés, ciselés, gravés. Leur structure devait ressembler à celui retrouvé à Genève (fig. 11).
Dans le livre que tient Marie de Bourgogne(?) (fig.13), on devine un petit tube au niveau de la tranchefile : c’est une pipe. Dans l’autre nature morte mise en scène dans le même ouvrage (fig. 14), c’est le bas du livre qui est visible, avec le pendant des rubans, ornés de perles ou de pierres. Cette nature morte met en scène divers objets de piété aussi bien que profanes : des bijoux (pendentif, bague, chaîne) et une patenotre décorée d’une bille de rosaire qui a tout de la pomme d’ambre[06]https://mediaephile.fr/pommes-de-senteur-pommes-dambre-pomanders avec son anneau libre (permettant une meilleure préhension pour dévisser ou ouvrir les hémisphères), ainsi que d’un probable flacon de senteur, tout à fait profanes bien qu’accrochés à un objet de piété.
La pipe est un peu plus discrète sur le livre de la Marie Madeleine (fig. 15) attribuée à Roger van der Weyden et plus imposante sur le livre de la femme du changeur de Quentin Metsys (fig. 16).
D’autres formes sont identifiables, la plupart sous forme de boule de perles dont Van Eyck semble très friand : 4 occurrences dans l’Agneau Mystique, l’Annonciation de la National Gallery of Art de Washington, la Vierge du chancellier Rollin (fig. 17, 18)
Mais aussi sous forme de bouton tissés[07]Blatt Heather. Tiny Textiles Hidden In Books: Toward a Categorization of Multiple-Strand Bookmarkers, disponible sur academia.edu ou via scholar.google si vous ne voulez pas ouvrir de compte academia.
Les deux livres portant des signets mobiles et des onglets sont moins célèbres que la boîte de bois blanc dépassant de sous le lit de la Dormition de la Vierge par le Meister des Albrechtsaltars conservée à Vienne (fig. 19).
Les signets mobiles sont faciles à repérer sur les tableaux détaillés, mais on en trouve également dans des enluminures (fig. 20, 21).
Il est difficile de voir à la fois la tête et les pendants des rubans. Ils sont parfois enrichis de pierreries (ou de perles) assortis à la tête du signet (fig. 19) et sont des bijoux à part entière.
Dans le détail de ce tableau, qu’il est facile de reconnaître comme une Annonciation si l’on arrive à déchiffrer « Ecce ancilla domini fiat mihi secundum verbum tuum« [08]c’est la réponse que fait Marie après l’avertissement de Gabriel. Souvent on ne voit que « Ecce ancilla domini« , quelque part dans le décor près du visage de Marie avec ou sans phylactère : « Voici la servante du Seigneur. Qu’il me soit fait selon votre parole., même si Marie était occupée à une lecture sacrée[09]« Ecce virgo concipiet et pariet filium et vocabitur nomen eius Emmanuel« . Voici que la Vierge concevra et enfantera un fils, et on lui donnera le nom d’Emmanuel.« , son livre n’en est pas moins orné d’un imposant bijou de perles.
Si vous examinez attentivement des oeuvres très connues, vous en découvrirez d’autres : par exemple Hugo van des Goes en a inclus dans son « Retable de la Trinité » altarpiece » et son « triptyque Portinari » … A vous de jouer !
On trouve également ces bijoux de livre mentionnés dans les inventaires et comptes des puissants. Des fils de soie dans les « Inventaires mobiliers et extraits des comptes des ducs de Bourgogne de la maison de Valois (1363-1477) » et des pipes d’or et d’argent [10]item 674 une pipe en or avec un saphir au centre et 18 perles autour (il doit s’agit d’une « pipe » sphérique), item 675 une pipe d’or, deux rubis, deux émeraudes et des perles, item 676, 677, 685, 670, 671 dans « Deux inventaires de la Maison d’Orléans (1389 et 1408) ».
Quelques marques-pages à éviter…
Pour aller plus loin :
Linographie
https://balliolarchivist.wordpress.com/2014/04/24/conservation-survey-notes-10/
https://bibulyon.hypotheses.org/829
https://blogs.princeton.edu/notabilia/2014/07/12/15th-century-bookmark-with-column-indicator/
https://library.usask.ca/archives/collections/published-works/rare-books/rare-books-showcase/rarebooksarchivejuly-2013.php
https://medievalbooks.nl/2014/09/22/smart-medieval-bookmarks/
https://medievalfragments.wordpress.com/2014/07/11/mark-their-words-medieval-bookmarks/
https://oldbooksnewscience.com/2013/12/31/auckland-libraries-ms-g-185-latin-psalter-and-hymnal/ (cité à son ancienne adresse http://medievalbookbindings.com/2013/12/31/auckland-libraries-ms-g-185-latin-psalter-and-hymnal)
https://www.onb.ac.at/
http://resolver.kb.nl/resolve?urn=urn:PTP:Amsterdam:BPH:004_079v_080r
http://www.sothebys.com/en/auctions/ecatalogue/2005/western-manuscripts-l05240/lot.16.html
Bibliographie
– Blatt Heather. Tiny Textiles Hidden In Books: Toward a Categorization of Multiple-Strand Bookmarkers academia.edu ou via scholar.google si vous ne voulez pas ouvrir de compte academia
– Prost Bernard et Henri. Inventaires mobiliers et extraits des comptes des ducs de Bourgogne de la maison de Valois (1363-1477). Paris. 1902-1913. Pages 14
– Graves F.-M. Deux inventaires de la Maison d’Orléans (1389 et 1408). Paris. 1926. Pages 128-130
– Samaran Charles. De quelques instruments de copistes. In: Bibliothèque de l’école des chartes. 1935, tome 96. pp. 194-196. https://www.persee.fr/doc/bec_0373-6237_1935_num_96_1_449101
Notes
⇧01, ⇧02, ⇧03, ⇧05 | http://www.palaeographia.org/vocabulaire/pages/page63.htm |
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⇧04 | https://bibulyon.hypotheses.org/829 |
⇧06 | https://mediaephile.fr/pommes-de-senteur-pommes-dambre-pomanders |
⇧07 | Blatt Heather. Tiny Textiles Hidden In Books: Toward a Categorization of Multiple-Strand Bookmarkers, disponible sur academia.edu ou via scholar.google si vous ne voulez pas ouvrir de compte academia |
⇧08 | c’est la réponse que fait Marie après l’avertissement de Gabriel. Souvent on ne voit que « Ecce ancilla domini« , quelque part dans le décor près du visage de Marie avec ou sans phylactère : « Voici la servante du Seigneur. Qu’il me soit fait selon votre parole. |
⇧09 | « Ecce virgo concipiet et pariet filium et vocabitur nomen eius Emmanuel« . Voici que la Vierge concevra et enfantera un fils, et on lui donnera le nom d’Emmanuel.« |
⇧10 | item 674 une pipe en or avec un saphir au centre et 18 perles autour (il doit s’agit d’une « pipe » sphérique), item 675 une pipe d’or, deux rubis, deux émeraudes et des perles, item 676, 677, 685, 670, 671 |
https://twitter.com/BNBoekbandenge1/status/1680970622900535297
Bruges, Public Library, Ms. 762
[Brieven van […]15the C.