Il est un détail qui est peu copié mais pourtant relativement bien représenté : le col de fourrure rapporté sur les manteaux simples que nous appelons capes.
Les manteaux en question sont supposés semi-circulaires, ils sont dépourvus de manche. Ils sont souvent doublés et parfois la fourrure de vair est très visible. La fermeture par un lien épais ou une courroie large de presque l’épaisseur de deux doigts, qu’il faut retenir à la main pour éviter que le poids du manteau ne l’entraine vers l’arrière et n’étrangle le porteur a conduit à une pose classique, faussement désinvolte mais probablement très distinguée fréquemment rencontrée dans l’art gothique (img. 1). La « cape-attitude » est une pose noble, hiératique, imposante qui ne tolère ni l’à peu-près ni l’avachissement en « reconstitution ».
Les manteaux semi-circulaires, peut-être du fait de leur manque praticité (les bras ne sont protégés que s’ils sont couverts par le manteau et permet peu de liberté) se retrouvent essentiellement sur des personnes oisives ou occupées à de nobles tâches (David jouant de la harpe, Boèce écrivant…), ce qui permet de les classer comme vêtements plutôt ostentatoires, de cérémonie ou d’apparat et donc portés par des individus d’un certain standing (qu’ils soient respectables ou riches parvenus).
Sous le nom de chape ecclésiastique (certains inventaires disent « pluvial »), nous trouvons des exemples de ce vêtement dans un contexte religieux. Ces manteaux-là sont maintenus fermés par une ou plusieurs agrafes (img. 2) ou bien par un dispositif appelé « mors de chape » constitué de plaques de métal appliquées sur les pans du manteau et réunies par une sorte de goupille.
Beaucoup de ces chapes de cérémonie, richement ornées d’orfroi sont parvenues jusqu’à nous car d’une richesse exceptionnelle, précieuses, surveillées et entretenues.
Dans un autre contexte cérémoniel, nous pouvons inclure le manteau de couronnement (img. 3) dit de Frédéric II (empereur du Saint Empire Germanique). Une légère dépression au centre le long du diamètre du manteau peut être considérée comme un embryon d’encolure mais elle n’est pas systématiquement présente sur ces vêtements.
Voilà pour situer l’objet de façon générale.
Mais ce ne sont pas ces vêtements de cérémonies (qui mériteraient amplement de s’attarder sur chacun ; vous pouvez en admirer une série dans ce billet de blog) qui constituent le coeur de ce billet car si nous pouvons observer de splendides bandes de broderie rapportée sur la totalité du diamètre, ils sont dépourvus de col.
Nous avons déjà parlé de la différence entre le col et l’encolure dans cet autre billet : l’encolure est la « partie échancrée d’un vêtement autour du cou », synonyme de décolleté [01]voir l’entrée « encolure » dans le Larousse ou encore la « partie du vêtement par où passe la tête » [02]voir l’entrée « encolure » dans le CNRTL tandis que le col, lui, est la « partie rapportée d’un vêtement en bordure de l’encolure » [03] voir l’entrée « col » dans le Larousse.
A ma connaissance, aucune « cape à col » n’est parvenu jusqu’à nous. Nous devrons nous contenter de leurs représentations qui figurent aussi bien sur des statues (y compris parmi les plus célèbres du XIII°s.) que sur des peintures ou des dessins.
La période de représentation semble couvrir un peu plus d’un siècle et va de la fin du XII°s au début du XIV°, l’aire géographique englobe l’Europe Centrale, de l’Ouest (les actuelles France, Angleterre, Allemagne, Autriche, Tchéquie…). Les représentations les plus récentes (début XIV°s) dépeignent peut être des archaïsmes ou des modes n’ayant plus vraiment cours, mais elles décrivent tout de même la réalité de l’objet.
En France, de célèbres cols de fourrure sur une cape vous ont peut-être échappés en tant que tels mais je suis sûre que vous les avez déjà vus : ils ont été dessinés au début du XIII°s. par Villard de Honnecourt dont le « carnet » est conservé à la BNF (img 4). Au premier regard, on peut croire qu’il s’agit tout simplement du bord du manteau, mais la surépaisseur est nette et délibérée, de même que le motif. Une fois l’oeil habitué à des cols plus flagrants, le doute se dissipe.
Encore plus connus, même si peu repérés et tout aussi peu imités, il y les cols des statues de la cathédrale de Naumburg[04]cliquez ici pour obtenir des photos d’archives des donateurs de Naumburg. Sur Uta von Ballenstedt (img. 5), Reglindis et Hermann de Misnie (img. 6) mais aussi Gepa (img. 7), Gerburge (img. 8) et le Kaiser Otto I (img. 9). On note que ces cols sont présents aussi bien sur des femmes que sur des hommes. Toutes ces capes de Naumburg, vers 1245-1250, présentent un revers qu’il n’est pas possible de confondre avec un accident ou un manque dans la sculpture ; la faible épaisseur n’oriente pas directement vers de la fourrure, mais n’exclue pas non plus une fourrure rase.
Sur des peintures en revanche, la couleur ainsi que des traits figurant assez bien des poils nous orientent vers des cols de fourrure le plus souvent de couleur brune, mais pas systématiquement (img. 12, 13). Encore une fois, le premier regard ne remarque pas forcément cet ajout que l’on peut confondre avec de longs cheveux (img. 26).
Et maintenant que vous voilà interpellé par des représentations très célèbres, partons à la chasse au col de cape !
La récolte est particulièrement abondante dans la zone géographique d’influence germanique, mais la cape à col est présente également en France.
Le Passionnaire de Weissenau fournit au moins trois cols sur de hauts dignitaires et une sainte (img. 10-12).
La France n’est pas en reste avec la donnatrice agenouillée du Psautier dit « de Fécamp » (img. 13) et la Bible de Manerius (img. 14, 15).
A Chartres, sur la reine de Saba et sur Salomon (img. 22, 23 ) 1ère moitié 13e siècle (1204-1240)
Un autre type de col est observable sur les deux hommes de droite de la scène des Trois Vifs (img. 48) : cette fois, une encolure nette est découpée dans le manteau et le col suit cette encolure sans déborder sur les pans latéraux.
Comme pour tous les éléments d’habillement, il existe plusieurs variantes à un même détail.
Sur les manteaux (capes) en demi-cercle, sans encolure découpée, nous trouvons des cols faisant le tour du cou et descendant plus ou moins bas vers les coudes le long du diamètre du demi-cercle. Ces cols sont parfois parfaitement assimilables à de la fourrure (couleur sur les peintures, texture sur les sculptures, parfois texture et couleur sur les peintures) et parfois laissent le doute sur leur matière (comme les cols de Naumbourg).
La forme des probables fourrures est variée elle aussi ; nous observons aussi bien des rouleaux fins assez discrets et ne descendant pas très bas vers les coudes (img. 22, 23, 41, 44), que des fourrures plus ébouriffées et plus volumineuses à pans rectangulaires (img. 21) ou bien encore à pans trapézoïdaux (img 29, 33). Parfois le dessin ou le volume laissent penser à des touffes ou des plaques de fourrures accolées (img. 31) mais il pour d’autres, il tout aussi bien s’agir du motif du pelage employé (47, 39, 36).
Lorsque la couleur est présente, nous pouvons remarquer que la fourrure du col est vraiment différente de la fourrure utilisée pour la doublure. Cela peut-être liée à la mode, aussi bien qu’au confort ou encore à la résistance de la fourrure employée ; la plupart des doublures peintes assimilables à de la fourrure montrent le dessin particulier du vair (sauf éventuellement img. 25 et 26) ou peut-être de l’hermine avec les queues contrastantes (img. 46) mais les cols associés sont bruns.
Mise à jour 26 mai 2024 :
D’autres capes à col dans cet ouvrage : Erfurt, Forschungsbibliothek Gotha, Sächsische Weltchronik, Memb. I 90. Dernier quart XIII°s.
Folios : 52r, 63v, 64r, 67r, 67v, 68r, 68v, 70r, 70v, 79r, 89r, 91v, 94v, 95v, 100r
bonjour ! A t-on une idée de quel animal pourrait être fait ces cols de fourrure marrons ? je suppose que ça doit être doux et confortable… et ne pas trop perdre ses poils pir éviter d’en retrouver sur cette noble cape ? Merci en tout cas pour cette étude !
Bonjour Arthemis, merci pour cet avis :). A ce jour, je n’ai pas relevé de mention « pour col de cape/manteau » dans des livres de compte (mais il y en a peu pour le XIII°s.). Pour savoir quelles fourrures sont plausibles, il faudrait chercher plus précisément dans l’ouvrage de Robert Delort « Le commerce des fourrures en Occident à la fin du Moyen Âge ». J’avoue que je ne l’ai pas fait…