Capes à col (de fourrure ?)

Il est un détail qui est peu copié mais pourtant relativement bien représenté : le col de fourrure rapporté sur les manteaux simples que nous appelons capes.

Les manteaux en question sont supposés semi-circulaires, ils sont dépourvus de manche. Ils sont souvent doublés et parfois la fourrure de vair est très visible. La fermeture par un lien épais ou une courroie large de presque l’épaisseur de deux doigts, qu’il faut retenir à la main pour éviter que le poids du manteau ne l’entraine vers l’arrière et n’étrangle le porteur a conduit à une pose classique, faussement désinvolte mais probablement très distinguée fréquemment rencontrée dans l’art gothique (img. 1). La « cape-attitude » est une pose noble, hiératique, imposante qui ne tolère ni l’à peu-près ni l’avachissement en « reconstitution ».

Image 1- Londres, V&A Musem. Détail de la chape dite de Butler-Bowdon. Photo V&AM 

Les manteaux semi-circulaires, peut-être du fait de leur manque praticité (les bras ne sont protégés que s’ils sont couverts par le manteau et permet peu de liberté) se retrouvent essentiellement sur des personnes oisives ou occupées à de nobles tâches (David jouant de la harpe, Boèce écrivant…), ce qui permet de les classer comme vêtements plutôt ostentatoires, de cérémonie ou d’apparat et donc portés par des individus d’un certain standing (qu’ils soient respectables ou riches parvenus).

Sous le nom de chape ecclésiastique (certains inventaires disent « pluvial »), nous trouvons des exemples de ce vêtement dans un contexte religieux. Ces manteaux-là sont maintenus fermés par une ou plusieurs agrafes (img. 2) ou bien par un dispositif appelé « mors de chape » constitué de plaques de métal appliquées sur les pans du manteau et réunies par une sorte de goupille.

Image 1- Londres, V&A Museum. Détail des agrafes de la « cape de Scyon ». Photo V&AM

Beaucoup de ces chapes de cérémonie, richement ornées d’orfroi sont parvenues jusqu’à nous car d’une richesse exceptionnelle, précieuses, surveillées et entretenues.

Dans un autre contexte cérémoniel, nous pouvons inclure le manteau de couronnement (img. 3) dit de Frédéric II (empereur du Saint Empire Germanique). Une légère dépression au centre le long du diamètre du manteau peut être considérée comme un embryon d’encolure mais elle n’est pas systématiquement présente sur ces vêtements. 

Image 3 – Manteau de couronnement dit de l’empereur Frédéric II. Vienne, Autriche. Photo Dennis Jarvis from Halifax, Canada

Voilà pour situer l’objet de façon générale.

Mais ce ne sont pas ces vêtements de cérémonies (qui mériteraient amplement de s’attarder sur chacun ; vous pouvez en admirer une série dans ce billet de blog) qui constituent le coeur de ce billet car si nous pouvons observer de splendides bandes de broderie rapportée sur la totalité du diamètre, ils sont dépourvus de col.

Nous avons déjà parlé de la différence entre le col et l’encolure dans cet autre billet : l’encolure est la « partie échancrée d’un vêtement autour du cou », synonyme de décolleté [01]voir l’entrée « encolure » dans le Larousse ou encore la « partie du vêtement par où passe la tête » [02]voir l’entrée « encolure » dans le CNRTL tandis que le col, lui, est la « partie rapportée d’un vêtement en bordure de l’encolure » [03] voir l’entrée « col » dans le Larousse.

A ma connaissance, aucune « cape à col » n’est parvenu jusqu’à nous. Nous devrons nous contenter de leurs représentations qui figurent aussi bien sur des statues (y compris parmi les plus célèbres du XIII°s.) que sur des peintures ou des dessins.

La période de représentation semble couvrir un peu plus d’un siècle et va de la fin du XII°s au début du XIV°, l’aire géographique englobe l’Europe Centrale, de l’Ouest (les actuelles France, Angleterre, Allemagne, Autriche, Tchéquie…). Les représentations les plus récentes (début XIV°s) dépeignent peut être des archaïsmes ou des modes n’ayant plus vraiment cours, mais elles décrivent tout de même la réalité de l’objet.

En France, de célèbres cols de fourrure sur une cape vous ont peut-être échappés en tant que tels mais je suis sûre que vous les avez déjà vus : ils ont été dessinés au début du XIII°s. par Villard de Honnecourt dont le « carnet » est conservé à la BNF (img 4). Au premier regard, on peut croire qu’il s’agit tout simplement du bord du manteau, mais la surépaisseur est nette et délibérée, de même que le motif. Une fois l’oeil habitué à des cols plus flagrants, le doute se dissipe.

Image 4 – Paris, BNF. Carnets de Villard de Honnecourt, Français 19093, f. 14r. Photo Gallica

Encore plus connus, même si peu repérés et tout aussi peu imités, il y les cols des statues de la cathédrale de Naumburg[04]cliquez ici pour obtenir des photos d’archives des donateurs de Naumburg. Sur Uta von Ballenstedt (img. 5), Reglindis et Hermann de Misnie (img. 6) mais aussi Gepa (img. 7),  Gerburge (img. 8) et le Kaiser Otto I (img. 9). On note que ces cols sont présents aussi bien sur des femmes que sur des hommes. Toutes ces capes de Naumburg, vers 1245-1250, présentent un revers qu’il n’est pas possible de confondre avec un accident ou un manque dans la sculpture ; la faible épaisseur n’oriente pas directement vers de la fourrure, mais n’exclue pas non plus une fourrure rase.

Image 5 – Cathédrale de Naumburg. Uta. vers 1245-1250 Photo Walter Möbius
Image 6 – Cathédrale de Naumburg. Herman et Reglindis. vers 1245-1250. Photo Blog Trolley-Tourist
Image 7 – Cathédrale de Naumburg. Gepa. vers 1245-1250. Photo Walter Moebius 
Image 8- Cathédrale de Naumburg. Gerburg von Brehna. vers 1245-1250. Photo Walter Möbius.
Image 9 – Cathédrale de Naumburg. Kaiser Otto I. vers 1245-1250. Photo Walter Möbius.

 

Sur des peintures en revanche, la couleur ainsi que des traits figurant assez bien des poils nous orientent vers des cols de fourrure le plus souvent de couleur brune, mais pas systématiquement (img. 12, 13). Encore une fois, le premier regard ne remarque pas forcément cet ajout que l’on peut confondre avec de longs cheveux (img. 26).

Et maintenant que vous voilà interpellé par des représentations très célèbres, partons à la chasse au col de cape !
La récolte est particulièrement abondante dans la zone géographique d’influence germanique, mais la cape à col est présente également en France.

Le Passionnaire de Weissenau fournit au moins trois cols sur de hauts dignitaires et une sainte (img. 10-12).

Image 10 – Hélène (mère de l’empereur Constantin) découvrant la Vraie Croix. Suisse. Cologny, Fondation Martin Bodmer, Passionaire Weissenau Cod. Bodmer 127 f 53v. Monastère de Weissenau, Allemagne, XII° s.  Photo e-codice
Image 11 – Martyre de Marcellini et Petri. Suisse. Cologny, Fondation Martin Bodmer, Passionaire Weissenau Cod. Bodmer 127 f 53v. Monastère de Weissenau, Allemagne, XII° s.  Photo e-codice
Image 12 – Sainte Pélagie (?). Suisse. Cologny, Fondation Martin Bodmer, Passionaire Weissenau Cod. Bodmer 127 f 53v. Monastère de Weissenau, Allemagne, XII° s.  Photo e-codice

 

La France n’est pas en reste avec la donnatrice agenouillée du Psautier dit « de Fécamp » (img. 13) et la Bible de Manerius (img. 14, 15).

Image 13 – Donatrice agenouillée. Pays Bas, La Hague. Psautier de Fécamp, 76F13, f28v. Fécamp (France), ca 1180. Photo KBNL
Image 14 – Allégorie de la Sagesse. Paris, bibliothèque Ste Geneviève, Bible de Manerius, ms 0009, f 262. Est de la France (Troyes ?) ca. 1185-1195. Photo IRHT
Image 15 – Naissance de Moïse/Moïse sauvé des eaux. Paris, bibliothèque Ste Geneviève, Bible de Manerius, ms 0008, f 41v. Est de la France (Troyes ?) ca. 1185-1195. Photo IRHT
Image 16 – Londres, British Library. BL Harley ms 5102. f49v, f77v, f103v. Angleterre ou nord de la France, Q4 XII°s- Q1 XIII°s.. Photo BL
Image 17 – Londres, British Library. BL Harley ms 5102. f49v, f77v, f103v. Angleterre ou nord de la France,Q4 XII°s- Q1 XIII°s.. Photo BL
Image 18 – Londres, British Library, BL Harley ms 5102. f49v, f77v, f103v. Angleterre ou nord de la France, Q4 XII°s- Q1 XIII°s.. Photo BL
Image 19 – USA, New York, The Morgan Library. Sacramentaire de Berthold, MS M.710 fol. 78r . Weingarten, ca 1215 . Photo Morgan Library
Image 20 – USA, New York, The Morgan Library. Sacramentaire de Berthold, MS M.710 fol. 89r . Weingarten, ca 1215 . Photo Morgan Library
Image 21 – Boèce dissertant avec la Philosophie. Allemagne, Münich, Bayerische Staatsbibliothek, Clm 2599, page 225. Aldersbach début XIII°s. Photo BSB

 

A Chartres, sur la reine de Saba et sur Salomon  (img. 22, 23 ) 1ère moitié 13e siècle (1204-1240)

Image 22 – France, Chartres. Cathédrale Notre-Dame, Porche nord, portail de droite, ébrasement : la reine de Saba. M1 XIII°s. Détail d’une photo de  Christian Lemzaouda pour le Centre André Chastel
Image 23 – France, Chartres. Cathédrale Notre-Dame, Porche nord, portail de droite, ébrasement : le roi Salomon. M1 XIII°s. Détail d’une photo de  Christian Lemzaouda pour le Centre André Chastel
Image 24 – Détail des Vierges Folles et Vierges Sages de la chapelle de Hocheppan, à Eppan (Appiano) dans le Nord Est de l’Italie (Sud Tyrol). Début XIII° s. Photo non créditée sur  FB
Image 25 – Autriche, Niederösterreich. Stiftsbibliothek, Moralia in Hiob, cod. Duc. 95, fol. 206r. Allemagne du sud, ca.1250-1260. Photo 003071 REALONLINE
Image 26 – Saint Blaise et saint Pantaléon. France, Besançon, Bib. municipale, Psautier Cistercien, ms 54, f17r. Allemagne du sud-ouest ou Suisse, ca. 1260. Photo IRHT
Image 27 – Jésus devant Ponce Pilate. France, Besançon, Bib. municipale, Psautier Cistercien, ms 54, f11v. Allemagne du sud-ouest ou Suisse, ca. 1260. Photo IRHT
Image 28 – Autriche. Vienne. ÖNB, psautier, cod. 1898fol. 156v. Europe centrale, ca 1235-1275. Photo IMAREAL
Image 29 – Dalle funéraire du Comte de Gleichen. Allemagne, Erfurt, Église Beatae Mariae Virginis. ca 1250-1270. Photo Walter Möbius
Image 30 – Plaque funéraire de Siegfried III d’Eppstein (mort en 1249), archevêque de Mayence, couronnant les rois Heinrich Raspe et Wilhelm de Hollande. Allemagne, Mayence, Eglise saint Martin et saint Etienne, 1249. Photo Bildindex
Image 31 – Gisant de Gottfried von Kappenberg. Allemagne, Ilbenstadt, ancienne église du couvent Sainte-Marie, Saint-Pierre et Saint-Paul, 1286-1300. Photo Bildindex
Image 32 – Dalle funéraire d’un chevalier de Kreuzberg. Allemagne, Philippsthal (Werra), église protestante Sankt Jacques (ancienne église du monastère bénédictin de Kreuzberg). Ca 1260-1270. Photo Bildindex
Image 33 – David jouant de la harpe. Suisse, Zürich, Zentralbibliothek, Psautier de Rheinau, Ms. Rh. 167, f 10r. Région de Constance, vers 1260. Photo e-Codice
Image 34 – David jouant de la harpe. Allemagne, Karlsruhe, Badische Landesbibliothek, Cod. Lichtenthal 25, f69v. Rhin supérieur, M2 XIII°s. Photo BLB
Image 35 – David jouant de la harpe. Allemagne, Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Psalterium, BSB Clm 8713. XIII°s. Photo BSB
Image 36 – USA, NY, Morgan Library, Evangiles,  MS M.808, f29v. Autriche ca. 1225-1275. Photo Morgan Library
Image 37 – Suisse, Cologny, Fondation Bodmer, Guillaume de Conches, Dragmaticon; Comput pour le calcul du calendrier, Cod. Bodmer 188, f10v. Allemagne de l’Ouest (Rhénanie), vers 1230
 Photo e-Codice
Image 38 – La grande prostituée de l’Apocalypse. Angleterre, Cambridge, Expositio in Apocalypsim, MS Mm.5.31, f121v. Allemagne, Cologne ou  Basse Saxe, 1249-1250. Photo Cambridge University Library
Image 39 – Col de fourrure sur un homme de la cour de Lothaire III. Angleterre, Cambridge, Expositio in Apocalypsim, MS Mm.5.31, f180v. Allemagne, Cologne ou  Basse Saxe, 1249-1250. Photo Cambridge University Library

 

Image 40 – Donateurs agenouillés, Herman I de Thuringe et Sophie de Wittelsbach. Italie, Cividale del Friul, Museo Archologico Nazionale, Archivi e Biblioteca, Psautier de sainte Elisabeth, CXXXVII, f173r.  Reinhardsbrunn (?), vers 1201-1208. Photo The Books of the Patriarchs’ project
Image 41 – Bethsabée, épouse de David. Cathédrale de Chartres. Photo Vincent Zénon-Rigaud
Image 42 – France, Strasbourg, Musée de l’Oeuvre de Notre-Dame, « La petite Eglise ». Vers 1225, 1239. Photo Musée de l’Oeuvre Notre-Dame
Image 43 – Gisant d’Alix (ou Aélis ou Adélaïs) de Joigny (1135-1187). France, Joigny, Eglise saint Jean. Début XIII°s. Photo Bildindex
Image 44 – Gisant de Guillaume I de Joigny. France, Joigny, Eglise saint Jean. Début XIII°s. Photo Bildindex

 

Image 46 – Plate tombe de la princesse Guta II. Tchéquie, Prague, Musée national lapidaire. Peut-être vers 1297. Photo Zdeněk Kratochvíl pour Wikipedia
Image 47 – Ponce Pilate. Allemagne, Augsburg, Universatätbibliothek, Psalterium mit deutschen Gebetsanweisungen – Stundenbuch, UBA Cod. I.2.8° 6, f 78v. Regensburg, co 1255-1260. Photo UBA/BVB

 

Image 45 – Leutwin und Gisela von Sonnberg. Autriche, Zwettl, Stiftsarchiv, Liber Fundatorum Zwetlensis, Hs. 2-1, f17v. Zwettl, ca.1310-1311. Photo IMAREAL

Un autre type de col est observable sur les deux hommes de droite de la scène des Trois Vifs (img. 48) : cette fois, une encolure nette est découpée dans le manteau et le col suit cette encolure sans déborder sur les pans latéraux.

 

Image 48 – Des cols de fourrure un peu particulier. Ils suivent l’encolure et non le diamètre du manteau. Paris, BNF, Bib. de l’Arsenal, Recueil d’anciennes poésies françaises, Ms-3142, f311v. France, vers 1275-1300. Photo BNF Gallica
 

Comme pour tous les éléments d’habillement, il existe plusieurs variantes à un même détail.

Sur les manteaux (capes) en demi-cercle, sans encolure découpée, nous trouvons des cols faisant le tour du cou et descendant plus ou moins bas vers les coudes le long du diamètre du demi-cercle. Ces cols sont parfois parfaitement assimilables à de la fourrure (couleur sur les peintures, texture sur les sculptures, parfois texture et couleur sur les peintures) et parfois laissent le doute sur leur matière (comme les cols de Naumbourg).

La forme des probables fourrures est variée elle aussi ; nous observons aussi bien des rouleaux fins assez discrets et ne descendant pas très bas vers les coudes (img. 22, 23, 41, 44), que des fourrures plus ébouriffées et plus volumineuses à pans rectangulaires (img. 21) ou bien encore à pans trapézoïdaux (img 29, 33). Parfois le dessin ou le volume laissent penser à des touffes ou des plaques de fourrures accolées (img. 31) mais il pour d’autres, il tout aussi bien s’agir du motif du pelage employé (47, 39, 36).

Lorsque la couleur est présente, nous pouvons remarquer que la fourrure du col est vraiment différente de la fourrure utilisée pour la doublure. Cela peut-être liée à la mode, aussi bien qu’au confort ou encore à la résistance de la fourrure employée ; la plupart des doublures peintes assimilables à de la fourrure montrent le dessin particulier du vair (sauf éventuellement img. 25 et 26) ou peut-être de l’hermine avec les queues contrastantes (img. 46) mais les cols associés sont bruns.

Mise à jour 26 mai 2024 :
D’autres capes à col dans cet ouvrage : Erfurt, Forschungsbibliothek Gotha, Sächsische Weltchronik, Memb. I 90. Dernier quart XIII°s.
Folios : 52r, 63v, 64r, 67r, 67v, 68r, 68v, 70r, 70v, 79r, 89r, 91v, 94v, 95v, 100r

Notes

Notes
01 voir l’entrée « encolure » dans le Larousse
02 voir l’entrée « encolure » dans le CNRTL
03 voir l’entrée « col » dans le Larousse
04 cliquez ici pour obtenir des photos d’archives des donateurs de Naumburg

2 Comments

  1. Arthemis

    bonjour ! A t-on une idée de quel animal pourrait être fait ces cols de fourrure marrons ? je suppose que ça doit être doux et confortable… et ne pas trop perdre ses poils pir éviter d’en retrouver sur cette noble cape ? Merci en tout cas pour cette étude !

  2. Eodhel

    Bonjour Arthemis, merci pour cet avis :). A ce jour, je n’ai pas relevé de mention « pour col de cape/manteau » dans des livres de compte (mais il y en a peu pour le XIII°s.). Pour savoir quelles fourrures sont plausibles, il faudrait chercher plus précisément dans l’ouvrage de Robert Delort « Le commerce des fourrures en Occident à la fin du Moyen Âge ». J’avoue que je ne l’ai pas fait…

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