Le capuchon à pointe rabattue vers le front (XIII° s. -XV° s.)

L’arrivée de la discutée mascotte des Jeux Olympiques de Paris 2024 m’a remis en mémoire un épisode amusant lié à une mode née mi-XIII° s. et courant jusqu’au début au moins du XV° s.[01]Cet épisode a vu un phénomène quasi-magique : la mise à jour minute par minute (ou presque) d’un texte de blog d’association (public) en fonction des critiques qui en étaient faites sur un autre média (privé). Et pour finir sa disparition totale (couplée à celle de la désertion de l’auteur du blog associatif qui l’hébergeait). La magie vous dis-je…

Le sujet du présent billet sera donc… la courte pointe des capuchons rabattue vers le front, rappelant celle du « bonnet phrygien » (img 1).

Image 1 – Porcher à la glandée. Londres, British Library, The Taymouth hours, Yates Thompson MS 13, f 6r. Photo BL

Nous avons parlé de cette particularité sans trop nous y attarder, lorsque nous avons observé la mode des vêtements à capuche et sans manche dans le dernier paragraphe « Un mot à propos du port « pointe rabattue vers l’avant ». L’hypothèse d’un « mouvement de tête » y était mentionnée comme étant proposée par certains pour gommer l’existence d’une mode et, en quelque sorte, la limiter à quelques « anomalies ».

Tout d’abord, rendons à l’art culinaire ce qui lui appartient : cette hypothèse de restitution de mouvement figure dans un article du magazine grand public « Moyen Âge » dans son numéro 40 sept-oct 2012, pages 40 à 47 : Anderlini, « Le cas du bonnet phrygien ».[02]J’espère que la citation est suffisamment claire pour l’article L122-5 du Code de la propriété intellectuelle. Si tel n’est pas le cas et parce que le numéro 40 du magazine n’est plus vraiment disponible, une version sans illustration mise en ligne par l’auteur même est consultable à cette adresse : https://www.academia.edu/es/6711511/Repr%C3%A9senter_l_autre_et_l_ailleurs_au_Moyen_%C3%82ge_par_le_costume_le_cas_du_bonnet_phrygien

L’essentiel du texte (environ 75%) retrace l’histoire du bonnet phrygien et plaide pour un usage général, global et constant (au moins du VIII° s. au XV° s.) de cette pointe rabattue, appartenant ou non à un véritable bonnet, en tant que symbole de l’ « autre » et de l’ « ailleurs » dans l’art pictural médiéval (sur six à sept cent ans, rien que ça). Mais on peut aussi y lire :

Parfois on peut se demander si le bec ne serait pas la marque du mouvement de la tête, et de la cornette, comme dans certaines enluminures du Psautier de Luttrell »

Le texte en question appelle « bec » la pointe du capuchon rabattue vers l’avant.

(Notons au passage que reconnaître une indication de mouvement de la tête, c’est aussi reconnaître que les peintures des manuscrits savent être précises, réalistes et vivantes, et pas uniquement figées et symboliques.)

Ma constatation personnelle est que cette hypothèse est née en réaction aux critiques[03]voir la définition de ce mot dans le CNRTLhttps://www.cnrtl.fr/definition/critique onglets 2 et 3 générées par la première version du texte en question, pré-publiée en ligne[04]puis retiré du blog associatif hébergeur, au départ de l’auteur. Au fur et à mesure que des enluminures étaient diffusées dans ces critiques, montrant des femmes ou des hommes « simples », sans  rôle particulier, sans origine particulière, et dotés de capuchons à pointe rabattue vers l’avant, l’affirmation « l’allusion à un bonnet phrygien signale systématiquement la distance ou l’altérité, et/ou possède également une charge péjorative » n’étant plus recevable, et la suite d’exemples étalés au long d’une vingtaine de paragraphes se trouvant infirmée, le texte en ligne était modifié, adapté. Une vraie partie de ping pong.
L’argument développé dans les critiques « c’est une mode, c’est arrivé puis reparti, on ne peut que l’observer et il n’y a aucune autre raison à cette présence »  ne pouvait pas satisfaire l’auteur en question[05]se contenter de constater que « c’est une mode », c’est céder à la facilité, ça ne met pas l’observateur assez en valeur, il ne peut pas développer, c’est trop humble, pas assez brillant, cela ne  permet pas de faire étalage de culture générale… : il fallait absolument imaginer quelque chose pour ne pas se laisser déstabiliser et pouvoir continuer à appliquer l’option de marquage négatif jusqu’au XV° s. Ce fut cet « indicateur de mouvement » ; et un manuscrit est désigné comme l’ayant inspiré.

Regardons un peu quelles enluminures seraient éligibles au « mouvement de la tête » dans le Psautier dit de Luttrell (Londres, British Library, ms. Add. 42130), sélectionnons les capuchons enfilés de façon classique (img 2).

Image 2 – Divers capuchons prélevés dans le Psautier de Luttrell. Photos : British Library

Je suis peut-être passée à côté d’une ou deux drôleries en marge mais je pense avoir récolté la plupart des capuchons de ce psautier (j’ai volontairement laissé de côté ceux qui sont portés roulés en chapeau).

Dans la série extraite, un seul capuchon a véritablement la pointe rabattue sur le front (colonne de gauche, deuxième ligne sur l’image 2), son porteur n’a pas l’air de particulièrement bouger la tête, il désigne quelque chose des mains mais c’est un hybride statique (nous savons que les marges sont propices aux fantaisies, aux caricatures et à l’improbable. Néanmoins lorsque des accessoires sont utilisés avec des drôleries ou des hybrides anthropomorphes, même détournés, ils restent des objets du quotidien, reconnaissables par ceux qui les utilisaient et ce capuchon l’est[06]même si la toile présentée comme un hamac me laisse perplexe ).
Beaucoup de pointes courtes sont relevées mais pas vers le front, les pointes longues sont, sans surprise, tombantes. Peut-être le berger dans l’enclos est-il l’inspiration en question ? Mais sa compagne a elle aussi la tête baissée vers la traite et la pointe de son chaperon n’est pas en avant. Alors, quelle « pointe rabattue en avant » indiquerait ici un mouvement de la tête lié à une activité physique ? Le folio en cause n’étant pas précisé, l’iconographie sélective non détaillée et les illustrations absentes, cela reste un mystère à ce stade.

Notons la présence de bourreaux du Christ ayant une pointe longue tombante ou simplement verticale (partiellement occultée par le nimbe crucifère) alors que c’était l’occasion parfaite de les marquer péjorativement à l’aide de ce fameux « bec de bonnet phrygien marqueur négatif » (certes un des bourreaux est bleu mais l’autre n’est finalement pas plus laid que le Christ lui-même).

Examinons les autres  illustrations mentionnées par le texte en question, en conservant les éditions de « Roman de la Rose » pour la fin.

[Note de bas de page n°] 23 : British Library, Add. MS. 42130, vers 1320-1340. Un phénomène similaire est peut-être notable dès le milieu du XIIIe siècle dans le manuscrit Cotton Nero DI de la British Library, f. 183v, sur un personnage maltraitant… des juifs. Matthieu Paris, scribe et enlumineur, donne souvent des indications de mouvement par ses vêtements. Il s’agit peut-être de cela.

 

Le cas de « Londres, British Library, Cotton Nero DI, f.183v »

 

Image 3 – Folio 183v du manuscrit de la British Library Cotton Nero D I f. 183 v. Photo British Library

Pas de chance. Il doit y avoir une erreur dans le relevé des références car il n’y a pas de capuchon au folio 183v (img. 3). Pour une fois que la précision est donnée, c’est dommage. Mais cela peut arriver à tout le monde.

En tout cas, il n’y a pas non plus de maltraitance de juifs dans cet ouvrage. L’erreur doit donc porter sur la cote du manuscrit plus que sur le numéro de feuillet.
Cependant, la pioche n’est pas si mauvaise, car une partie des illustrations est de la main de Matthew Paris, et nous avons deux capuchons à pointe courte, aux folios 4v et 5v sur deux hommes occupés aux mêmes tâches : déposer des cercueils en terre (et non maltraiter des juifs).

Les deux ont la tête baissée sous l’effort, un seul a une pointe rabattue vers son front. Seule la scène du folio 4v (img. 4) est de Matthew Paris, la suite est d’une autre main.

Si l’intention de l’excellent dessinateur qu’est Matthew Paris avait été de matérialiser le mouvement (sous la simple pesanteur), il avait l’occasion de le faire  d’autant plus que cet homme est nettement penché en avant. Côté contexte, nous ne sommes pas dans des scènes Bibliques ni dans l’Histoire juive, mais dans l’histoire de la vie du roi Offa, roi de Mercie au VIII° s.[07]https://fr.wikipedia.org/wiki/Offa_(roi_de_Mercie) .
Les scènes n’illustrent pas une action malfaisante ni particulièrement mal vue : le roi Offa prend soin de faire convenablement enterrer des morts. C’est peut-être ancien mais pas exotique, et tous les autres protagonistes sont habillés à la mode connue du temps de Matthew Paris.
L’option de marqueur d’altérité n’est pas recevable ici, l’option du marqueur de mouvement est douteuse. La possibilité qu’il s’agisse simplement d’un fait de mode demeure.

Mais de toute façon ces exemples ne figurent pas parmi ceux sélectionnés par l’auteur.

 

Image 4 – Le dessin est de la main de Matthew Paris. Londres, British Library, Cotton Nero D I f. 4v. Offa burying the dead. Photo British Library.
Image 5 – Le dessin n’est pas de la main de Matthew Paris. Londres, British Library, Cotton Nero D I , f.5v. Photo British Library

 

Le cas de « Avignon, Bibliothèque municipale ms 0121 f. 91″

(note de bas de page n° 25)

Il s’agit d’un enterrement. Mais nous n’avons pas de pointe rabattue sur le front, seulement une petite pointe verticale, comme le plus souvent sur ce type de capuchon essentiellement féminin de forme très simple (un rectangle plié en deux et cousu sur un seul bord). Ce que l’on voit sur le front de la femme, c’est le revers du capuchon, qu’il est très courant d’observer (il est également présent sur le croque-mort img. 5) mais habituellement plutôt sur les capuchons enveloppants, dans le but de bien ajuster la cagoule au visage.

Image 6 – Avignon, Bib. Municipale, ms 121, f91. Photo IRHT

 

Le cas de « Paris, BNF, Français 185, f15r »

(note de bas de page n° 26)

Il s’agit d’une procession, personne n’est étranger, ni typé négativement, il ne s’agit pas d’une « figure allégorique » non plus. Peut-être s’agit-il de la mère de la jeune coquette qu’elle précède. Nous sommes loin d’une image péjorative. Cet exemple est à peine retenu, voire discuté, au motif que la pointe rabattue serait trop petite pour être bien perceptible. Pourtant, il s’agit toujours du même accessoire, ce capuchon hypersimple (rectangle plié et cousu d’un côté) avec une point plus ou moins présente.

Image 7 –  Paris, BNF, « La Legende des Sains » [de JACQUES DE VORAGINE], traduction de « JEHAN BELET ». , Français 185, f15r. Photo Gallica

 

Le cas de « Oxford, Bodleian Library,  Selden Supra ms 57″

(note de bas de page n° 24)

C’est un choix assez peu judicieux dans la mesure où les peintures sont en assez mauvais état. Mais enfin, il est possible d’en extraire quelques unes. Puisque les feuillets ne sont pas précisés, j’en ai sélectionné trois. Les vêtements sont tout à fait conformes à ce que l’on attend pour la période de réalisation de l’ouvrage (1348) et il n’est pas possible de confondre la personnification du Dieu Amour avec un humain réel (img. 9).

Image 8 – Oxford, Bodleian Library. Selden Supra 57, f. 71v. Photo Bodleian Library
Image 8 – Oxford, Bodleian Library. Selden Supra 57, f. 3r. Photo Bodleian Library
Image 9 – Oxford, Bodleian Library. Selden Supra 57, f. 6v. Photo Bodleian Library

Quelques remarques à propos des éditions du Roman de la Rose[08]traduction en français moderne et glose : https://www.gutenberg.org/files/16816/16816-pdf.pdf.
On a beau savoir qu’il s’agit d’un roman allégorique (et de plus, un rêve), la majorité des éditions illustrées du Roman de la Rose montrent des hommes et des femmes vêtus à la mode de leur temps. Les héros « humains » (ce qui exclue Bel-Accueil décrit comme un ange, le dieu Amour, Vénus, etc.) sont généralement représentés sous les traits d’hommes et de femme vêtus à la mode contemporaine du peintre. Au nom de quelle injonction devrait-on refuser de considérer que des héroïnes de romans, lorsque leur allure n’est pas particulièrement décrite dans le texte, sont dessinées à l’image des femmes de leur temps, à la mode de leur temps, les jeunes comme des jeunes, les aînées comme des aînées ? Il n’est pas rare de pouvoir percevoir l’âge des protagonistes en fonction de leur tenue. C’est particulièrement sensible dans les scènes incluant La Vieille, qui parfois n’est pas tout à fait vêtue comme les coquettes de son temps. Il faut quand même que le destinataire comprenne ce qu’il voit.

Il n’existe pas, à mon sens, de vraie raison de les considérer comme des fantaisies, ni de les exclure du champ d’observation. De fait, soit on exclue directement les éditions du Roman de la Rose, soit on considère qu’il est acceptable de prendre en compte les tenues des « incarnations humaines » (et uniquement celles ci, à l’exclusion des dieux, déesses, anges…). Pour ces raisons, je ne retiens pas l’exclusion de l’auteur basée sur l’argument fourre-tout de  « figure allégorique ». A l’inverse, je considère qu’il est acceptable de considérer les tenues des « incarnations humaines » pour représentatives de celles des contemporains du peintre.

 

Nous avons fait le tour des maigres illustrations citées par l’auteur. Cela fait peu, en effet.

Il y en a tellement plus ! J’en ajouterai après l’ultime citation du texte en question.

 

Il apparaît, après ce rapide tour d’horizon des différents porteurs de bonnet phrygien de l’Antiquité au XVe siècle qu’en dehors de très rares cas ambigus, casques du XIIe siècle, certaines coiffes féminines du XIVe siècle, cornettes montrant le mouvement, nous sommes bien en présence d’un marqueur  exotique ou allégorique.

 

Il me semble qu’il s’agit d’une généralisation bien hâtive et d’un tour d’horizon loin des 360°, surtout pour quelqu’un qui par ailleurs recommande à tous la prudence à tous les étages avec les déductions. Nombre des exemples que j’ai sélectionnés dans ce billet étaient disponibles déjà en 2012 (date de publication du texte) ; je le sais d’autant mieux que j’ai personnellement contribué aux commentaires ayant généré les adaptations successives du texte en ligne.

Revenons à l’énumération citée : je ne la trouve pas bien claire.  Quels sont les rares cas ambigus ?  Les casques, les « certaines coiffes féminines » en font-ils partie ou sont ils d’autres exceptions à la généralisation du marqueur « soit d’exotisme soit d’allégorie » ?

Sans compter que les « certaines coiffes féminines » n’ont pas été décrites, ni les exemples de « mouvement de tête » : c’est vague, très vague. Certes, c’était pour un magazine grand public (et aussi pour régler des comptes personnels envers des costumes ou des accessoires rejetés par l’auteur mais utilisés par des associations) mais je trouve que la conclusion manque quelque peu de précision.

Le retranchement derrière le paravent de la « figure allégorique » me fait penser un peu à ces archéologues qui, ignorant la fonction exacte d’un objet, mais devant fournir une légende pour un musée ou une exposition ou une publication, choisissent de l’estampiller « objet de culte ». Ils ne peuvent pas admettre une existence simple, factuelle, il leur faut une raison, un symbole, une case à cocher ; pour eux c’est « objet de culte » ; pour cet auteur-ci, c’est « allégorie, symbole »[09]on se demande parfois si ces « symboles » n’ont pas été créés dans l’unique but de pouvoir les citer a posteriori, les véritables utilisateurs auxquels ils sont attribués en ignorant eux-même l’existence… A la façon de ces interminables « explications de texte » au collège, qui donnent le tournis si l’on songe que les écrivains n’ont pas pensé au millième de ce qui est suggéré par les élèves. Ils ont utilisé ce qui leur a semblé le mieux convenir, et la plupart du temps, cela leur est venu d’un jet (même retravaillé), ils ne se sont certainement pas posé autant de questions qu’une classe entière pour chaque paragraphe (sinon ils n’auraient écrit qu’un roman en une vie), ils n’ont probablement jamais eux-même pensé à cacher toutes les subtilités qui permettent au professeur de se mettre en valeur en les détaillant aux élèves (car c’est aussi le cas, même si de base, le but est de pousser les élèves à réfléchir, il faut bien que l’enseignant ait une longueur d’avance pour rester crédible) .

Loin d’être rares, les représentations de femmes et d’hommes quelconques, sans rang particulier, sans rôle particulier, sans origine particulière et portant leur capuchon avec la pointe rabattue vers l’avant, sont bien présentes, dans la fourchette chronologique 1250-1420. Vers la fin de la période, et de façon fort logique, ce sont les plus âgés qui sont dotées de cet accessoires (celui de leur jeunesse ?), surtout parmi les femmes, tandis que les plus fraîches optent pour la dernière mode (qui n’est plus ce capuchon-là).

Et elles ne sont que le reflet d’une mode, aussi fugace ou répandue que peut l’être une mode, et je pense qu’il faut avoir l’humilité d’observer sans vouloir à tout prix projeter sur la cible ce que d’autres vous ont appris (surtout dans l’unique but de montrer que vous l’avez appris). Un compositeur ou un musicien ne fait des gammes que le temps de se les approprier ; une fois assimilées il n’éprouve aucun besoin de les imposer à tous, de les expliquer à tous, il les utilise parce qu’il les connait (à l’inverse de monsieur Jourdain qui ignorait pratiquer la prose et qui soudain ressent le besoin de le faire savoir).

Loin d’être rares, elles sont plutôt diverses en lieux et en temps. Voici d’autre illustrations. Je n’en citerai qu’une ou deux par manuscrit car la multiplicité au sein d’un même ouvrage ne saurait compter pour plus d’un exemple : tout l’atelier fonctionne de la même façon, avec les mêmes références.

Très belles heures de Notre Dame (img 10)

Il s’agit d’un baptême, dans la marge du baptême du Christ.

Il y a deux styles différents dans cette scène : à droite une femme que l’on devine plus âgée, qui cache autant ses rides que ses cheveux blancs sous son capuchon fade et sa gorgerette, avec une cotte ample aux des manches dont le style commence à dater et sur la droite de l’image, trois jeunes filles, la gorge exposée, le corps bien moulé, la taille cambrée, arborant des capuchons récents, moulants, à longue pointe prolongée, avec l’enfilade de boutons décoratifs et des coudières rapportées. Je soupçonne le capuchon à pointe d’être précisément là pour « dater » la porteuse (img 10). On notera le revers sur chaque front.

Image 10 :  Paris. BNF, Très belles heures de Notre Dame , NAL 3093, f.161v. Ca 1375-1400. Photo Gallica

 

Poésies, de Guillaume de Machaut (img 11, 12)

Une génération avant la peinture précédente, c’est une jeunette avec un décolleté typique de sa mode et ses tresses sur les tempes, qui porte un capuchon ouvert avec la pointe rabattue vers le front. Une femme derrière elle a une robe moins élégante mais arbore le même capuchon à pointe rabattue. Aucune ne semble malfaisante, ni étrangère (img. 11)

Image 11 : Paris. BNF, Guillaume de Machaut , Poésies Fr 1586, f11v. Ca 1350-1355. Photo Gallica

Trois capuchons à pointe courte. Deux sont portés pointe rabattues. Il s’agit de bergers et bergères (img. 13)

Image 12 : Paris, BNF, Guillaume de Machaut , Poésies, Fr 1586, f.115v. Ca.1350-1355. Photo Gallica

 

Roman de la Rose (img. 13, 14)

Courtoisie et Largesse sont incarnées par de jeunes coquettes, avec tresses sur les tempes, un décolleté bas et un capuchon à pointe rabattue sur le front. On note que leur capuchon est du genre moulant comme il sied aux jeunettes. La Vieille, elle, porte une gorgerette et son capuchon est plus ample, moins insolent. Qu’est-ce que le fait qu’il s’agisse de « figure allégoriques » pourrait bien changer à la scène ? Encore une fois, c’est très cohérent avec la mode connue vers 1370 (img 13).

Image 13 : Cortoisie et Largesce parlant à la Vieille. Arras. Bib. mun. Roman de la rose, ms 587 selon BVVM (et 897, une ancienne cote, selon le site hébergeant la photo), f69r. Non numérisé dans IRHT ni BVVM. Vers 1370. Photo Johns Hopkins University Sheridan Libraries
 

Franchise (bonnet vert) et Pitié (bonnet rose) rencontrent l’Amant. Plus que des « figures allégoriques », nous avons ici des héroïnes de roman, incarnées et  vêtues comme des femmes contemporaines du peintre. C’est le cas généralement dans Roman de la Rose illustrés (img 14) .

Image 14 : Arras. Bib. mun. Roman de la rose, ms 587 selon BVVM (et 897, une ancienne cote, selon le site hébergeant la photo), f19v. Non numérisé dans IRHT ni BVVM. Vers 1370. Photo Johns Hopkins University Sheridan Libraries

 

Dits de Watriquets de Couvin (img 15)

Deux hommes (en bleu) et une femme (en rouge) du menu peuple, qui se plaignent au roi. Dans la même scène, trois modes sont représentées. Les deux hommes portent le même capuchon (même longueur de pointe), l’un l’a rabattue en arrière et l’autre sur son front. Rien dans la scène scène n’indique une différence de statut, d’origine ou d’acte entre ces deux hommes, qui permettrait de percevoir négativement celui de droite par rapport à celui de gauche. La femme porte un exemplaire de ce capuchon ouvert simple à pointe relevée (img. 15).

Image 15 : Paris. Bib. de l’Arsenal, Watriquet de Couvin, Dits, Ms-3525 rés, f.41v. Vers 1330. Photo Gallica
 

Codex Manesse (img. 16)

Dans ce recueil de poésie, l’illustration de « Der Kol von Nüssen » présente un capuchon à pointe rabattue sans qu’il y ait une raison particulière de montrer  étrangeté ni malignité. (img. 16)

Image 16 : Heidelberg, Universitätsbibliothek, Codex Manesse, Cod. Pal. germ. 848, f. 396r. Ca 1300-1340. Photo Universitätsbibliothek Heidelberg

 

Roman de Fauvel (img. 17)

Trois pauvres sollicitent la protection d’un seigneur contre l’avidité de ses officiers. Tous les protagonistes sont vêtus à le mode de leur temps. Bien qu’il s’agisse d’un roman, il n’est pas question ici de signaler une notion péjorative ou des lieux étrangers.

Image 17: Trois pauvres sollicitent la protection d’un seigneur contre l’avidité de ses officiers. Paris, BnF, Roman de Fauvel, Français 571, f.146. Vers 1326. Photo BNF

 

Bréviaire de Jean sans peur et de Marguerite de Bavière (img. 18)

Public assistant au prêche d’un évêque. Il n’y a aucune raison de montrer des personnes malfaisantes et ce n’est pas en terre lointaine. La femme coiffée de noir est probablement plus âgée que les deux autres porteuses de capuchons (comme pour l’image 10). Il ne saurait s’agir de « mouvement de la tête », car elle se tient la tête penchée en arrière et le rabat devrait alors pendre vers sa nuque.

 
Image 18 : Londres, BL, Breviary, Harley 2897, f157v. Ca. 1410. Photo BL

 

Gilles li Muisis, Lamentations (Oeuvres poétiques)(img. 19)

Image 19 – Un abbé s’adressant à une foule indifférenciée. Bruxelles, ms IV 119, f 213. vers 1350.Photo KIKIRPA

« Toutes les miniatures mettent en scène un abbé, sans doute Gilles Le Muisit lui-même, pourvu d’une crosse et s’adressant un auditoire qui varie selon les sections : foule indifférenciée, moines, nonnes, béguines, frères mendiants. » [10]Emilie Goudeau. Gilles le Muisit, Registre. Edition des neuf premiers chapitres du texte, d’après le manuscrit Br IV 119 de la Bibliothèque Royale de Bruxelles. p 18
Même si le commentaire s’applique plus particulièrement au premier tiers du manuscrit (objet de la thèse citée), il sembler rester valable pour la totalité de l’ouvrage. L’auditoire n’est pas étranger (Gilles li Muisit écrit sur ses contemporains) et n’a aucune raison d’être hostile ou méprisable.

Pontifical à l’usage de Sens (img. 20)

Cérémonie de mariage dans un pontifical [11]recueil contenant le rituel des cérémonies réservées à l’évêque. Deux femmes derrière la mariée portent un capuchon ouvert à fine pointe rabattue sur le front.

Image 20 – Londres, British Library, Pontifical à l’usage de Sens, Egerton 931, f. 204. Photo BL

 

Marges du Roman de la Rose, de l’atelier Monsbaston (img. 21)

Les copistes, probablement Richard et Jeanne de Montbaston, se sont représentés dans la marge : quelle raison aurait Jeanne de se désigner comme malfaisante ou étrangère[12]à moins de tenir à charge les feuillets CVIr et CVIv ? ? Elle se tient la tête droite : où serait le mouvement ?

 

Image 21 – Copistes au travail, dans une marge d’un Roman de la Rose. Paris, BNF, Roman de la Rose, Français 25526, f LXXVIIv. Photo Gallica

 

 

Martyrologe-Obituaire de Saint-Germain-des-Prés (img. 22)

Un porcher à la glandée. Le feuillet porte aussi le signe du Sagittaire, probablement pour signaler le mois de Novembre.
Si l’hypothèse du « mouvement de tête » était applicable, la pointe devrait partir vers la nuque du porcher qui (par ailleurs n’est ni étranger ni malfaisant).

 

Image 22 – Paris, BNF, Martyrologe-Obituaire de Saint-Germain-des-Prés, Latin 12834, f. 79v. Photo Gallica

 

 

Bréviaire de Belleville, vol. I (partie hiver) (img. 23, 24)

Sur une page de décembre, un homme travaille avec une sorte de hache. L’hypothèse du mouvement semble aussi peu probable que celle de l’altérité ou la malfaisance (img. 23).

Image 23 – Paris, BNF, Bréviaire de Belleville, vol. I (partie hiver), Latin 10483, f 6v. Photo Gallica

Le rabat vers le front est plus visible en utilisant le zoom de Gallica. Il s’agit d’une messe, il n’y a ni mouvement de la tête (tous sont agenouillés et regardent l’ostie levée par le prêtre), ni altérité ni malfaisance (img. 24).

Image 24 – Une orante tenant un cierge. Paris, BNF, Bréviaire de Belleville, vol. I (partie hiver), Latin 10483, f. 148r  .fPhoto Gallica

Une orante au pied de la Vierge à l’Enfant porte un capuchon ouvert à pointe courte, verticale, vaguement inclinée. Comme souvent sur les femmes de cette période, il s’agit d’un capuchon simple (rectangle plié en deux cousu sur un petite côté) et ouvert. Il n’y a ni mouvement de la tête (tous sont agenouillés et regardent vers Marie et Jésus), ni altérité ni malfaisance (img. 25).

Image 25 – Orante au pied de la Vierge. Paris, BNF, Bréviaire de Belleville, vol. I (partie hiver), Latin 10483, f. 203r. Photo Gallica

 

Dans ce manuscrit, il y a d’autres capuchons à pointe courte, rabattue ou non vers le front, sur des hybrides, sur des hommes, sur des bourreaux ou des soldats, et appuient l’hypothèse que cette mode est juste une mode, assez répandue et touche tout le monde.

 

Recueil de textes d’édification et de traités de dévotion (Enseignements de saint Louis à son fils) (img. 26)

Il s’agit d’un baptême, la femme en rouge porte le capuchon ouvert simple à la mode, fourré (comme le revers l’indique). La courte pointe est verticale et inclinée vers le front de la tête penchée

 

Image 26 – Paris, BNF, Recueil de textes d’édification et de traités de dévotion, Fr 1136, f. 33v.  Photo Gallica

 

Livre d’Heures à l’usage de Rome (Heures de la Vierge) (img. 27, 28)
 
La commanditaire du manuscrit, agenouillée devant Jésus dans les bras de Marie, porte un capuchon ouvert bleu simple, ouvert, dont la pointe courte est rabattue vers le front (img. 27). Agenouillée face à sainte Marguerite, elle porte un capuchon similaire, rouge (img. 28).
Dans le même ouvrage, un berger de l’Annonce aux berger porte un capuchon fermé dont la pointe est rabattue vers l’avant (folio 49r).
 
Image 27 – New York, Morgan Libray, M.229 fol. 195r. Photo ML

Image 28 – New York, Morgan Library, M.229 fol. 204r. Photo ML
 
 
Recueil de traités philosophiques et moraux (img. 29)
 
Le cartel dit qu’il s’agit de Charles V et de sa famille, conversant avec deux franciscains. La fillette à gauche lève les yeux vers la reine : s’il y avait un mouvement de tête, la pointe tomberait vers la nuque et non le front.
(cette représentation du destinataire et de sa famille est bizarre, sachant que deux seulement (Charles et Louis) sont devenus adultes, tous les autres étant mort enfants (entre 0 et 10 ans) et n’ayant pas réellement cohabité).
 
Image 29 – Besançon, Bibliothèque municipale, ms 434, f.46r. Photo IRHT
 
 
 

Et vous, dans quels autres manuscrits ou oeuvres avez vous cette pointe de capuchon rabattue sur le front ?

 

Je vais en terminer en citant la célébrissime Corne Ducale de Venise. Car s’il est un couvre chef qui manque à l’énumération du texte en question, c’est bien elle !
Qui, pour le coup et selon la légende, aurait une réelle résonance avec le véritable bonnet phrygien : celui que portaient les soldats de Byzance stationnés à Venise [13]https://fr.wikipedia.org/wiki/Corne_ducale. Même si la légende est fausse, ce bonnet à corne a réellement été le couvre chef officiel des doges de Venise (img. 30).

Image 30 – Le doge Giovanni Mocenigo par Gentile Bellini (c. 1480) Tempera sur bois, musée Correr Photo wikipédia

 

 

 

 

 

 

 

Notes

Notes
01 Cet épisode a vu un phénomène quasi-magique : la mise à jour minute par minute (ou presque) d’un texte de blog d’association (public) en fonction des critiques qui en étaient faites sur un autre média (privé). Et pour finir sa disparition totale (couplée à celle de la désertion de l’auteur du blog associatif qui l’hébergeait). La magie vous dis-je…
02 J’espère que la citation est suffisamment claire pour l’article L122-5 du Code de la propriété intellectuelle. Si tel n’est pas le cas et parce que le numéro 40 du magazine n’est plus vraiment disponible, une version sans illustration mise en ligne par l’auteur même est consultable à cette adresse : https://www.academia.edu/es/6711511/Repr%C3%A9senter_l_autre_et_l_ailleurs_au_Moyen_%C3%82ge_par_le_costume_le_cas_du_bonnet_phrygien
03 voir la définition de ce mot dans le CNRTLhttps://www.cnrtl.fr/definition/critique onglets 2 et 3
04 puis retiré du blog associatif hébergeur, au départ de l’auteur
05 se contenter de constater que « c’est une mode », c’est céder à la facilité, ça ne met pas l’observateur assez en valeur, il ne peut pas développer, c’est trop humble, pas assez brillant, cela ne  permet pas de faire étalage de culture générale…
06 même si la toile présentée comme un hamac me laisse perplexe
07 https://fr.wikipedia.org/wiki/Offa_(roi_de_Mercie)
08 traduction en français moderne et glose : https://www.gutenberg.org/files/16816/16816-pdf.pdf
09 on se demande parfois si ces « symboles » n’ont pas été créés dans l’unique but de pouvoir les citer a posteriori, les véritables utilisateurs auxquels ils sont attribués en ignorant eux-même l’existence… A la façon de ces interminables « explications de texte » au collège, qui donnent le tournis si l’on songe que les écrivains n’ont pas pensé au millième de ce qui est suggéré par les élèves. Ils ont utilisé ce qui leur a semblé le mieux convenir, et la plupart du temps, cela leur est venu d’un jet (même retravaillé), ils ne se sont certainement pas posé autant de questions qu’une classe entière pour chaque paragraphe (sinon ils n’auraient écrit qu’un roman en une vie), ils n’ont probablement jamais eux-même pensé à cacher toutes les subtilités qui permettent au professeur de se mettre en valeur en les détaillant aux élèves (car c’est aussi le cas, même si de base, le but est de pousser les élèves à réfléchir, il faut bien que l’enseignant ait une longueur d’avance pour rester crédible)
10 Emilie Goudeau. Gilles le Muisit, Registre. Edition des neuf premiers chapitres du texte, d’après le manuscrit Br IV 119 de la Bibliothèque Royale de Bruxelles. p 18
11 recueil contenant le rituel des cérémonies réservées à l’évêque
12 à moins de tenir à charge les feuillets CVIr et CVIv ?
13 https://fr.wikipedia.org/wiki/Corne_ducale

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